Alphalik Adamou, 20 ans, Abomey-Calavi, Bénin.

Je m’appelle Alphalik Adamou. Je vis au Benin, en Afrique de l’Ouest depuis 20 ans déjà. Je n’ai jamais pu quitter ce pays. Toute ma vie, et jusqu’il y a deux semaines, mon rêve était de quitter ce pays, quitter l’Afrique. C’était plus qu’un rêve, c’était une ambition, un objectif, c’était le combat de toute ma vie, son aboutissement. C’était certainement le rêve de toute ma génération. Quitter l’Afrique, car elle n’est pas à la hauteur de nos espérances, de nos ambitions. L’Afrique n’a pas d’ambition. Elle est comme un gosse de riche, pourri et gâté. Voilà ce que pense la jeunesse africaine. Il faut partir. Mais maintenant, où aller ? Je me retrouve aujourd’hui sans ambition, sans objectif, sans destination. Je me retrouve en pleine apathie, victime de mes visions apocalyptiques de la Terre en 2020. Facétieuses, ignorance et incertitude m’ont pris au piège fragile et attendri.

Je me rappelle le 1er janvier 2020 à 00h01, on se souhaitait heureuse année et longévité. La terre brillait par sa beauté et les airs chantaient l’amour. C’est juste un souvenir qui s’envole maintenant. Aujourd’hui c’est le 24 mars 2020. Alors que l’Italie déclare plus de 59 100 cas atteints du Covid-19 et plus de 5 400 morts, la France, plus de 16 000 cas et plus de 670 morts, mon pays compte pas plus de 5 cas confirmés et encore sans source fiable. Pour une partie du pays, le virus, le Covid-19, l’épidémie, non, plutôt la pandémie, les morts dans le monde, sont encore perçus comme une blague, un sujet risible. Comme dans un cirque, le Corona Virus est un phénomène de foire dans le monde qui nous amuse, nous ici. On en rit. Un ami qui tousse, c’est l’occasion de sortir une blague: << Hé ! Abattez-le ! Il a chopé le virus >>. Blagues, vannes déplacées, je me demande bien jusqu’à quand ? Jusqu’à ce qu’on y fasse face, contraint par le destin. Je me demande aussi jusqu’à qu’un ami, un parent, un enfant, ou soi même soit infecté. Mais pour l’autre partie, très restreinte, une poignée de main, c’est carrément la panique. Masques, gants, toute l’artillerie pour combattre la pandémie. Même si on n’est pas encore en état d’alerte ici, la situation dans le monde n’est pas pour autant sans incidence sur nous et nos familles. Un père au Gabon qui avait un commerce dont les principaux clients sont les élèves des lycées, se retrouve ruiné. Son fils qui étudie au Benin, n’arrive plus à payer sa part de loyer depuis deux mois. Son colocataire qui doit vivre au jour le jour, de quelques petits emplois, doit se mettre en danger et sortir pour travailler. La maladie a un retard de quelques semaines sur l’Afrique. Mais une fois en Afrique, cette pandémie sera répandue trois fois plus vite que dans les pays de l’Occident. La solidarité africaine, l’harmonie sociale en Afrique, la fraternité africaine, le vivre ensemble africain, l’hospitalité africaine, contribueront en faveur de la pandémie. L’Afrique n’est plus à son heure de gloire et de fierté pour ce qui est de sa bonté et de sa chaleur sociale.

Un confinement se prépare pour les jours à venir. Le contexte social et économique de notre cadre de vie me fait l’appréhender. Ça va faire très mal.

Aujourd’hui, vers 13h, la FNEB ( Fédération Nationale des Étudiants du Benin ) s’est rebellée et a fait appel à la rébellion contre la police républicaine dans le campus d’Abomey-Calavi. Elle interdit les cours sur le campus pour tous les étudiants, dans le cadre de la lutte contre la pandémie du Covid-19. L’État étant contre l’arrêt des cours fait appel à la police républicaine qui s’est interposée à la FNEB. Je me suis retrouvé au milieu de l’affrontement, entre les pierres lancées aux forces de l’ordre et le gaz lacrymogène de ces derniers. Trois membres de la FNEB ont été arrêtés. Une rumeur et une photo sans source fiable, parle d’un étudiant tué lors de la confrontation. << Comment se fait-il que la police tue quelqu’un qui voulait juste éviter de se faire contaminer par un virus sans vaccin >>, me demanda un étudiant qui sortait du campus, comme si j’avais la réponse à sa question.

Avec mes amis, on a adopté la salutation Wakanda forever dans le film Black Panther. On est pour le moment spectateur du malheur des autres. On prie tous en chœur pour que la pandémie épargne l’humanité. Psychologiquement, les plus avertis se préparent à accueillir la pandémie sous tous ses aspects. Notre ciel commence à s’assombrir.

Une réflexion sur “Alphalik Adamou, 20 ans, Abomey-Calavi, Bénin.”

  1. Bonjour Alphalik, Merci beaucoup de ton témoignage, c’est très intéressant. Dans un prochain post, pourras-tu décrire où tu vis : le campus, ainsi que l’université d’Abomey Calavi ? Je n’ai pas bien compris ce qui se passait : il y a eu une manifestation pour l’arret des cours? la police est intervenue pour obliger les étudiants a aller en cours? Que pensez vous de l’arret des cours ou pas? Quel type de prière collective faites vous? est ce que certains étudiants sont repartis dans leur famille? partis en milieu rural ? amicalement

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