« 29 février 2020, le début de l’angoisse » Sarra, Vietnam, n°1

Itinéraire d’une psychose

29 février 2020, 21h30

Je sors de l’avion. Un message facebook s’impose à mon écran, dès l’activation de mes données cellulaires : « Reste à Da Nang, corona-virus à Hanoi », bienvenue à Da Nang.

Cela faisait 22 jours que le nombre de 16 infectés n’avait pas augmenté au Vietnam. Partageant 1300km de frontière avec la Chine, le Vietnam a pris ses précautions depuis le mois de Janvier. La pandémie a pu être contrôlée grâce à des mesures perçues abusives par mes collègues, mes amis, et mes colocataires. Depuis le début de l’année, il y eut une fermeture totale de toutes les écoles, universités, certains sites touristes, et la mise en quarantaine de toutes personnes venant directement de Corée du Sud, et de la région de Wuhan en Chine… également, beaucoup de racisme individuel à l’encontre de chinois, sous mes propres yeux, provenant de personnes adorables.

Alors que le climat général semblait se détendre, et que le gouvernement pensait à enfin, ré-ouvrir les écoles au grand bonheur des professeurs d’anglais improvisés, venus de pays caucasiens pour gagner $25 de l’heure sans la moindre qualification, une touriste vietnamienne, a ramené le virus avec elle… d’Europe… l’ironie. Apparemment, elle aurait menti sur son itinéraire personnel, et sur sa déclaration médicale.

22h30

J’arrive à l’auberge, vide. Étonnamment, le staff n’est pas accueillant. Je dois avant toute chose, désinfecter mes mains. Puis, remplir un formulaire, où je dois renseigner mes déplacements et voyages durant ce dernier mois. Ai-je eu de la fièvre durant la dernière quinzaine ? Sûrement, mais je coche non. Ai-je eu des antécédents médicaux dernièrement ? J’ai eu des points de sutures il y a une semaine, ça compte ? On va dire que non. Je remplis le formulaire, comme lorsque je coche les conditions générales d’utilisation, mécaniquement. Est-ce moral ? Ou simplement de l’auto-protection ? De toute manière, c’est sûr que je n’ai pas le Corona. A mon départ de Hanoi, aucune personne n’était connue infectée. Bref. Une fois le questionnaire rempli, on me montre ma chambre.

Arrivée dans ma chambre, premier réflexe : scroller facebook.

Je me sens coupable de lire ce que j’ai sous les yeux. L’adresse personnelle de la jeune femme testée positive est divulguée. Tout comme son numéro personnel, son facebook personnel, son instagram personnel, et l’intégralité de son itinéraire en Europe. OK. S’en suit également d’innombrables insultes à son encontre, et des débats sur « ce qu’elle mérite ». Son supposé égoïsme justifie t-il l’harcèlement ? Je suis consternée par la violence des mots que je lis, et les quelques menaces de mort qui défilent. Voici ce que la peur de l’ennemi invisible provoque. Beaucoup de leçons de morale données à cette femme, sûrement ignorante, émises par des personnes perdant toute notion de respect de la dignité humaine, au nom du bien de tous. Étonnant.

Bref. Pendant ce temps là, je suis à Da Nang. A 800km de mon lieu de résidence temporaire. Extenuée, physiquement et psychologiquement, je m’en vais dormir.

1er Mars 2020

Week-end. À moi la Hoi Van Pass (magnifique route en montagne, bordant la Mer de Chine). Je planifie ma journée avec l’aide d’un des staffs. Aujourd’hui, je m’évade en moto. Demain, je vais visiter Hoi An.

La journée passe.

Journée top. Je rentre à l’auberge, et j’apprends à un des membres du staff que je prévois d’aller à Hoi An le lendemain. Ce dernier me fait les grands yeux, et m’avertit que des passagers se trouvant dans le vol de la « femme qui a ramené le virus avec elle », sont allés à Hoi An. Il me fait comprendre, malgré la barrière de la langue, qu’il y a des risques pour moi d’être mise en quarantaine à mon arrivée à Hanoi. J’intègre ce qu’il me dit sans paniquer. Je fais mes recherches sur Internet, je ne trouve pas d’informations semblables. Rassurée ou dans le déni, je décide de poursuivre ce que j’ai prévu. Je rencontre ensuite, une fille danoise, venue du Japon la veille. Premier sujet de conversation : Corona. Elle me fait part des angoisses qu’elle avait eu dans l’avion. Elle craignait de se faire placer en quarantaine à son arrivée à l’aéroport à Da Nang, venant d’un pays fortement touché… comme ce qui s’était passé pour les coréens.

Le lendemain, le réveil est prévu à 7h30. Je décide d’aller dormir, mais avant cela, dernier coup d’oeil sur facebook. Je tombe sur un post qui va avoir un impact sur la nuit qui va suivre : « if you are french, there are chances to be put in quaranteen on arrival ». Cela n’a pas de sens. Je peux être française, mais sans pour autant avoir été en France durant l’épidémie. Je suis française, mais au Vietnam depuis presque trois mois. Et puis de toute manière, c’est facebook, la personne n’a pas cité de sources. Elle parle sans savoir. Ceci est la démonstration de la puissance des réseaux sociaux actuellement : les intox peuvent circuler aussi rapidement que les véritables informations, simplement parce que tout le monde a la possibilité de s’exprimer.

Durant la nuit, les cas ne cessent d’augmenter en France, deux députés sont infectés également. Ca devient sérieux. Selon mes comptes, la France à ce moment, semble être le cinquième pays le plus touché. J’angoisse. Je rêve que j’ai le corona. Puis je rêve que j’ai décidé de ne pas prendre mon vol retour pour Hanoi, mais d’y aller par voie ferroviaire, pour éviter la quarantaine. En fait, je ne crains pas le virus lui même, mais les autorités d’un pays qui n’est pas le mien. Je repense à tous ces témoignages de coréens qui étaient mis en quarantaine désorganisée dans une partie délaissée de l’aéroport. Je repense aux propos de ma collègue franco-vietnamienne, sur les mises en quaranaines aléatoires, en fonction de la nationalité des personnes. Je me convaincs de la réalité de mes rêves angoissés et irrationnels. Et si le gouvernement décidait d’une nouvelle directive durant la nuit, à mise en application immédiate, comme cela a pu être le cas précédemment ? Pour sûr, je serai mise en quarantaine.

Moi qui suis pourtant constamment zen, je me découvre une nouvelle partie de ma personnalité. Le Corona m’a t-il changé ? Ou est-ce l’influence de la panique globale qui a un véritable impact sur moi ? Le lendemain, dimanche 2 Mars, 6h. Je me réveille avant mon réveil. J’ai les idées claires, et je me rassure. Tout va bien. Allons dans la plus belle ville du Vietnam, conseillée par un de mes plus estimé professeur. Cessons la panique. Je pense, malgré tout que cette situation demeure intéressante. Le passeport qui m’a valu sécurité administrative, et ouverture des frontières partout dans le monde, ne semble plus actuellement me protéger. Je suis française. Si seulement j’avais pris mon passeport tunisien avec moi… mais là, je vais être contrainte de prendre un vol retour, avec un passeport provenant d’un pays qui est actuellement l’un des plus infectés d’Europe.

Hoi An était déserte. Vide. Alors que je m’étais préparée psychologiquement à affronter le remake des Champs Elysées en période de Noël. Voici les effets positifs de corona, comme quoi, celui-ci a du bon. La journée passe, j’y ai rencontrée une française. Notre premier sujet de conversation ? Corona. Elle partageait un état d’esprit très zen. Semblable à celui que j’ai l’habitude d’avoir, cela m’avait encore plus rassuré.

Retour à l’auberge à 16h. Mon vol est à 22h. Je décide de poursuivre ma relaxation, et la décompression, pour me préparer à la semaine intensive qui m’attend au travail. Je lis. J’écoute de la musique. Je savoure ma mangue. Je parle avec ma seule amie de l’auberge déserte, la danoise venue du Japon.

Il est 19h. Je quitte l’auberge. Après avoir oublié ma nuit passée, voici que les angoisses réapparaissent à l’approche de l’aéroport. J’arrive à l’aéroport. Je surveille les personnes qui m’entourent. J’analyse le personnel de la compagnie aérienne : m’avertiraient-ils si j’étais menacée d’une mise en quarantaine à mon arrivée à Hanoi ? Bon sang, mais où sont les français ? Eux qui sont constamment là, quand j’essaie de les éviter, voilà qu’ils sont absents quand j’ai besoin d’eux pour un éventuel support psychologique. En fait, je semble être la seule ‘occidentale’ et étonnament, cela m’angoisse. Là où en temps ordinaire, ça ne m’aurait pas déplu.

Je fais attention à la distanciation sociale. Je porte le sacré masque FFP2 que j’avais soigneusement gardé depuis mon départ de Hanoi. Je bois beaucoup, je me lave les mains. Je psychote, et je suis complètement différente de ce que je suis habituellement. Moi qui ai tant l’habitude de m’analyser, même dans les pires moments, là, je m’en fiche. Je prie simplement pour ne pas être mise en quarantaine à mon arrivée à l’aéroport de Hanoi.

Avion. Embarquement imminent. 1h50 de vol. Serais-je mise en quarantaine à mon arrivée ? Suspens.

Da Nang – Hanoi, a été l’un des vols les plus court que j’ai pris, parmi tous mes voyages. Mais, il m’a paru comme étant le plus long, de tous les courts-courriers dans lesquels j’ai voyagé. Je sors précipitamment de l’avion, moi qui ai l’habitude de faire preuve de patience, et d’attendre d’être parmi les dernières. Je fais preuve d’impatience. Il est 23h30 à Hanoi. Je me précipite vers la sortie, remplie de stress, et sueur dégoulinante. Navette. Terminal domestique. Sortie. C’est tout.

Je suis dehors.

Sans contrôle de l’immigration.

Le soulagement.

et comme un sentiment ridicule d’avoir presque ruiné mon week-end par ces pensées parasites.

Cependant, je ne trouve pas de taxi. Quelque chose se passe. Je décide de prendre le premier bus, et on verra où celui-ci me mène. Mais au moins, je ne suis pas en quarantaine.

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