« Pour une anthropologie du rien : perspective d’analyse d’une ethnographie du vide », Clara Malbos, Mahahual, Mexique , n°4

Depuis la mort du maire la semaine dernière, Mahahual a retrouvé son calme : Les rues et les plages sont vides.

En temps normal, la période de Pâques (Semana Santa ici) est la période la plus achalandée dans tout le Mexique et l’Amérique Latine. Au-delà des évènements religieux,  Semana Santa est le prétexte pour partir quelques jours loin de la ville afin de profiter du bord du mer caribéen.

J’ai assisté deux années consécutives à ces célébrations à Mahahual. Toute la semaine – et 24h/24 – c’est musique, alcool, danse et autres festivités. Mais cette année : rien. Mahahual est un village fantôme.

Comment faire l’ethnographie de quelque chose qui n’est pas ? Ou plutôt, qui n’est plus ? Quels outils  peut-on mettre en place pour analyser l’absence, le vide ?

Après quelques recherches sur Google Scholar avec certains mots clefs comme « vide, absence, rien » je dois me rendre à l’évidence : Nous vivons une situation inédite qui n’a pas encore été quantifiée et analysée par les chercheurs en science humaine. Les épidémies et pandémies ont été étudiées à maintes reprises – comme en témoigne l’historien Patrice Bourdelais – pour leur aspect sanitaire et social. En revanche, ces pandémies ont été réfléchies comme de nouveaux objets d’analyse. Mais est-il possible de garder le même sujet d’étude s’il n’est plus ?

De manière plus concrète ; je travaille sur les effets du tourisme sur la communauté de Mahahual. Je me demande alors comment faire l’analyse de ce « non tourisme »? Quelles sont les conséquences du « non tourisme » sur le village et sur la vie quotidienne des habitants ? Et surtout, quels outils puis-je utiliser alors que je sors moi-même que très peu de chez moi.  L’analyse des réseaux sociaux est en effet possible mais j’aimerais avoir d’autres options. De plus, mon domicile est également source de données car je vis avec trois autres personnes qui travaill(ai)ent dans le tourisme ; ma vie quotidienne avec eux est donc aussi riche d’informations.

L’anthropologie sensorielle me semble être alors un angle d’approche intéressant à prendre en compte. Voici, par exemple, une énumération succincte de ce que je vois et de ce que j’entends qui a changé :

  • Je vois d’autres choses : Plus de poisson dans la lagune, plus de sable sur les routes, évidemment moins de touristes et moins de restaurants ouverts. Et je ne vois plus de bateaux de croisière au large.
  • J’entends également d’autres choses et je n’en entends plus certaines autres : J’entends le vent qui souffle, les vagues qui se jettent sur les pierres, les oiseaux qui chantent dans mon jardin. Je n’entends plus le bruit des moteurs de bateaux, des vendeurs ambulants qui essaient d’attirer les touristes ou de la boîte de nuit du village qui rythmait les week-ends.

L’anthropologie sensorielle est un champ d’étude que je n’avais, jusque-là pas eu le besoin d’utiliser. J’irais même jusqu’à dire que – ironiquement – je n’y étais pas sensible. Or, j’ai l’impression que pour faire l’analyse de ce rien, de ce vide, c’est maintenant plus que nécessaire.

 Nicolas Bouvier  accorde une place importante à la vue dans la découverte et le voyage. Je vais donc tacher pour les prochaines semaines de découvrir ce champs d’expertise et surtout de prendre conscience de mes sens dans ma vie quotidienne.

3 réflexions sur “« Pour une anthropologie du rien : perspective d’analyse d’une ethnographie du vide », Clara Malbos, Mahahual, Mexique , n°4”

  1. Bonsoir Clara. C’est très intéressant et j’ai été très émue par ce vide auquel tu donnes une épaisseur. J’ai pensé en lisant ton texte à Histoire du silence de A.Corbin (Albin Michel 2016),ca peut peut-être te donner des pistes.

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  2. Merci Clara pour cette piste de l’anthropologie sensorielle. Je suis confronté à la même situation à Venise. J’ai choisie d’observer de ma fenêtre, sur les groupes locaux des réseaux sociaux et lors de mes sorties la vie sans les touristes en comparant avec l’avant. Le son change effectivement. A suivre.

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