Journal de bord: Mon quotidien à l’hôpital – n° 3 Prendre le rythme- Marie, France

Dans ce journal de bord, je relate les éléments qui me semblent importants de mon quotidien à l’hôpital mais aussi lorsque je rentre chez moi. Mes réflexions, certains échanges, les situations rencontrées. Je décrirai plus spécifiquement certains éléments, d’autres seront passés sous silence, peut-être même oubliés. Je ferai un récit de certaines gardes à l’hôpital, d’autres ne seront pas mentionnées ici faute de temps pour la rédaction, d’intérêt du fait de la répétition et peut-être parfois faute de distance.

De l’accélération…

Le 31 mars- 1e avril 2020 : garde de nuit en unité COVID

Ce soir, je n’avais pas envie de venir… j’ai été insupportable toute la journée, susceptible, je m’emportais pour rien. C’est peut-être le stress mais je ne vois pas pourquoi. Je vais dans le même service, avec les mêmes collègues, rien de très déstabilisant. Mais j’ai l’estomac un peu noué et je traîne dans ma voiture sur le parking de l’hôpital avant d’y aller. Je reste là, pantoise et déprimée, alors que, je le sais pertinemment, une fois les portes passées je serai à nouveau dynamique, jouasse et pleine d’entrain. Alors je profite de ce moment pour rester mélancolique encore cinq minutes.

Je suis sur le secteur de droite avec Amanda et Carry, mes collègues aides-soignantes. Yoan s’occupe du côté gauche avec Joanna et Clara, deux étudiantes infirmières qui sont là en tant que ‘faisant-fonction’ aides-soignantes. Elles dépannent. Pierre, le troisième infirmier a pris quelques patients de chaque côté.

La nuit démarre sur les chapeaux de roue. Nous avons à peine fini les transmissions avec l’équipe de jour que le médecin réanimateur passe nous voir au sujet de trois patients. Il a été appelé par l’équipe de jour car ils étaient assez mal en point. Le médecin nous demande la réalisation des gaz du sang : prise de sang en artériel permettant d’évaluer les échanges gazeux – oxygène et dioxyde de carbone- pour voir si leur respiration permet d’apporter suffisamment d’oxygène au corps. La prise de sang est douloureuse et plus technique que les prélèvements veineux habituels. À force d’en faire, nous l’oublions presque. Enfin, pas vraiment. En réalité, je déteste les gaz du sang et je suis loin d’être la seule. C’est très douloureux et il faut parfois chercher l’artère. Disons que nous essayons de faire abstraction…

Il y a deux prélèvements de mon côté, un du côté de Yoan et Pierre en est exempt, les patients sur son secteur vont plutôt bien. Je prépare le matériel pour le premier prélèvement : la seringue est inhabituelle, je prends trois sortes d’aiguilles différentes car celle qui est en place ne me paraît pas adéquate. Compresses, Bétadine alcoolique, sparadrap, et c’est parti. Je m’emmitoufle comme d’habitude et… Carry, ma collègue auxiliaire de puériculture m’alpague en me voyant entrer dans la chambre du premier patient : « Mais tu ne lui as pas mis de patch ? ». En effet, non. Le réanimateur veut des résultats rapides. Il a expressément demandé que les trois prélèvements soient envoyés avant le tour de prise de sang de la réanimation qui est à 21h (sinon le laboratoire est saturé et ce sera trop long). Il est 20h15. Si je mets un patch antalgique au patient, il faudra attendre près de quarante-cinq minutes… temps que je n’ai pas ou que je ne prends pas, je n’en suis pas sûre. Mais aux vues de l’état de M. E, je me dis que le luxe est peut-être un luxe. Mais Carry a raison… c’est un peu de la torture…

Dans la chambre, je regarde les poignets de M. E. Il a déjà été prélevé plusieurs fois depuis le début de son hospitalisation. Il a des bleus partout… Je sens un pouls mais c’est très léger. Non pas que son cœur souffre (quoique) mais les bleus m’empêchent de sentir les battements. En plus, ma respiration dans le masque renvoie de la buée sur mes lunettes qui sont sous mes lunettes de protection et je ne vois rien. J’ai chaud, les lunettes de protection glissent, j’étouffe à moitié dans le masque. Ce début de nuit est un peu désagréable. Finalement, un peu plus bas sur le trajet de l’artère, je sens un pouls plus frappé, plus net. Je fais le prélèvement. Le patient grimace et moi aussi, mais il ne le voit pas sous mon attirail. Je m’excuse à plusieurs reprises. Une fois que le sang est dans ma seringue, je le regarde. Il m’a l’air foncé mais je discerne mal la couleur. Je déteste les nouvelles seringues de prélèvement. Dans les anciennes, on voyait clairement la couleur du sang sur un petit tampon banc dans le bouchon, ce qui nous permettait de savoir, par la nuance de rouge, si le sang était veineux ou artériel (le sang artériel étant un peu plus vif, plus clair). Là, je n’arrive pas à savoir. Tant pis, j’envoie au laboratoire, les résultats nous diront (enfin sauf s’ils sont mauvais, là il y a des chances qu’on ne voie pas bien la différence). J’enchaîne avec le deuxième. Le patient est un peu dans les vapes, il ne répond pas vraiment à mes questions. Je lui explique et regarde ses poignets. Idem, il est plein d’hématomes à force de prélèvements… par chance en cherchant plus haut (en huméral, au niveau du coude), je sens un pouls bien net, même si un peu profond. Il n’est pas recommandé aux infirmiers de piquer en huméral, il y a plus de risques de léser le nerf…  mais entre un pouls mal ressenti sur un poignet martyrisé et un pouls clair à un endroit qui fait moins mal, le choix est vite fait… Le patient ne réagit même pas. En même temps, à 85% de saturation sous 15l/min d’oxygène (la norme étant entre 95% et 100% en air ambiant) ça ne m’étonne pas.  J’essaie de le réveiller un peu, je lui parle. Il me répond, comme si je le dérangeais. En réalité, je le dérange. « Oui, oui c’est bon, je vous ai entendu ça va, je peux dormir là ? ». Je suis soulagée par sa réponse. De toute façon, nous allons le surveiller comme le lait sur le feu. En sortant de la chambre, mon collègue vient me chercher. Le gaz du sang sur le troisième patient difficile à prélever, il me demande de passer la main. Je prépare tout, m’habille et rentre. Le patient, M. P est assez déprimé. Je dirais même résigné. Lorsque je lui annonce que je viens pour réessayer de faire une piqûre il me dit : « À quoi bon, tout le monde sait que je vais mourir ». C’est vrai qu’il est mal parti… 15l/min d’oxygène, à peine à 88% de saturation, très fatigué et surtout il n’a pas le moral. Il est pâle, a une respiration sifflante et un balancement thoraco-abdominal prononcé. En bref, il respire « comme une patate » comme on dit. Mais je souris, même si le masque le cache et lui dit que nous n’avons pas encore abandonné et que tant que lui non plus, nous ferions notre possible. Il tend le bras en haussant les épaules. Je me pose un peu la question du consentement et lui pose directement la question : « Vous êtes d’accord pour que je regarde pour piquer ? ». Il hoche la tête : « Oui, bah faites ce que vous avez à faire… ». Je m’installe. Poignet gauche, nada. Le droit… non plus. Le coude, je le sens bien mais il y a un truc un peu dur qui roule et qui m’a l’air d’être juste au-dessus de l’artère… j’hésite, et puis non. Je reviens au poignet. Je retire les gants (mauvaise habitude) et ferme les yeux.

« M. P : Vous allez quand même pas piquer les yeux fermés dites ! »

Moi (Sa réflexion me fait rire) : Si si, comme aux fléchettes, on atteint le centre de la cible que les yeux fermés.

M.P : Non mais j’ai eu peur sur le coup, déjà que je suis mal en point, c’est pas une raison pour faire des expériences hein !

Moi : Ne vous inquiétez pas, je ne fais des expériences que sur ceux qui vont bien !

M.P (avec un sourire en coin) : Ha bah ça va alors, je suis tranquille alors… dites, vous avez une drôle de façon de rassurer les gens vous !

Moi : Peut-être mais au moins je ne vous mens pas sur votre état et ça vous fait sourire !  »

Je finis par réussir la prise de sang, mais il est 21h05. Je l’envoie un peu plus tard que prévu. Le réanimateur revient. Il a vu les premiers gaz et pour M. E, c’est très mauvais, tellement qu’il me demande de quoi avait l’air le sang. Il ne me le dit pas directement mais sous-entend que c’est peut-être du sang veineux et non artériel. Je lui dis que je n’étais pas sûre, en effet. Nous allons faire un nouveau prélèvement pour vérifier. Pour M. C, ce n’est pas non plus la joie.

« Bon, on va augmenter l’oxygène, en réa on a des manomètres qui peuvent aller jusqu’à 25 ou 30 litres d’oxygène. On va voir si 25 ça aide. Le but, c’est de les garder stables un maximum de temps, on n’a pas de place en réa. De toute façon pour M. C on ne l’intubera pas. Il a de l’emphysème, les poumons déjà abîmés, c’est le genre de patient qu’on ne pourra pas ex-tuber. Soit il lutte et s’en sort soit non. »

J’acquiesce.

Mes collègues infirmiers ont déjà bien avancé leurs tours alors qu’avec les prises de sang, je ne l’ai pas commencé. Je n’ai pas encore vu les autres patients. Heureusement, mes collègues aides-soignantes sont passées pour prendre les constantes, mais je ne serai fixée qu’en les voyants moi-même. En passant, Yoan me demande s’il peut m’avancer quelque chose. Oui ! Le gaz !  Au moins, comme ça nous saurons si j’ai raté la première fois ou si les échanges gazeux du patients sont vraiment catastrophiques. Je commence mon tour, passe de chambre en chambre. Les autres sont assez stables, enfin sauf Mme K, elle m’inquiète alors que ses constantes sont bonnes et qu’elle me dit que ça va. Mais il y a un truc qui cloche.

En sortant de sa chambre, j’entends Amanda, ma collègue aide-soignante qui discute avec Carry :

« Amanda : Non mais on a un thermomètre pour tout le service, ça va pas du tout. Et moi, je suis pas d’accord pour le donner, j’ai pas fini mon tour. Non.

Carry : Au pire on leur prête et on finit avec l’axillaire ?

Amanda : Non c’est trop long. Elles attendront qu’on finisse le tour !

Carry : Sinon je fais le tour des températures, tant pis si ça ne suit pas l’ordre des chambres et comme ça les filles de l’autre côté pourront aussi avancer !

Amanda : Mais on va perdre du temps… »

Carry fait mine de ne pas entendre et part prendre les températures. Elle me regarde et lève les yeux au ciel. Je lui fais un clin d’œil à travers ma double couche de lunettes et suis contente que le masque dissimule mon expression. Je grimace à moitié.  

Un coup de téléphone : le réanimateur. M. E a vraiment de mauvais résultats, on le passe lui et M. C sous oxygène 25l/min. Je cours en réanimation (à l’autre bout du couloir) chercher les manomètres (dispositif que l’on branche sur une prise à oxygène) et avec mes deux collègues infirmiers, nous les installons. C’est la première fois pour chacun de nous que nous avons un patient sous autant d’oxygène. Nous restons vigilants car l’oxygène, ce n’est pas anodin. Il peut y avoir des effets neurotoxiques ou pulmonaires. J’ai l’impression de noter des éléments infimes chez les patients à chaque nouveau passage. Yoan me dit que c’est pareil, qu’il se sent plus en alerte que vigilant, comme s’il était sur le qui-vive pendant les douze heures de la garde. D’ailleurs, plusieurs de mes collègues me disent ces derniers jours qu’elles sont plus actives la nuit depuis le début du COVID et n’ont plus l’incontournable ‘coup de barre’ souvent ressenti la nuit.

Après le premier tour, il est environ minuit et nous faisons un peu le point sur le matériel : nous n’avons plus de sur-blouses à manche longue mais des sur-blouses à manche courte avec des espèces de manchettes en plastique. Nous sommes assez dubitatifs. Amanda a essayé de travailler avec. Les manchettes donnaient tellement chaud que des gouttelettes de sueur ruisselaient le long de ses bras. Les masques sont limités, une quinzaine. Nous faisons une liste pour les collègues de demain. Nous faisons aussi un point sur les patients. Avec mes collègues infirmiers, nous avons sectorisé le travail pour les tours, c’est-à-dire que chacun a ses patients, mais cela ne nous empêche pas d’aller voir les patients les uns des autres. C’est d’ailleurs plus sympathique que la sectorisation pure car la charge de travail n’est pas la même d’un secteur à l’autre et savoir que nous pouvons compter sur nos collègues soulage un peu.   

À 2h du matin, c’est le sketch. Les aides-soignantes du côté gauche se lèvent à moins dix et vont chercher directement le thermomètre tympanique. Amanda est hors d’elle. Carry a l’air dubitative et prend le thermomètre axillaire. Amanda proteste mais sa collègue l’ignore : « on ne va pas attendre qu’elles aient fini ! ». Elle se dirige vers la première chambre. Elle s’habille. Je regarde Carry. Nous avons débuté ensemble en unité COVID, avons tâtonné. Là, ses gestes sont exacts, vifs. Elle prend le matériel pour s’habiller, toujours dans le même ordre, comme sans y penser. Elle n’a plus de difficulté à faire les nœuds dans le dos avec la sur-blouse, n’oublie plus de mettre le tablier en plastique avant les gants. C’est comme si en trois nuits, elle avait une routine. Alors qu’au début le fait de retirer et réutiliser les sur-blouses demandait une réelle concentration pour ne pas s’auto-contaminer, là c’est fluide. Retrait, pose, sans toucher l’extérieur puis réenfiler si besoin. Elle met des gants, prend l’intérieur de la sur-blouse avec ses doigts en pincette, passe un bras puis l’autre dans l’emmanchure. Elle écarte les bras pour faire remonter la blouse jusqu’à son cou, saisit les lanières et les attache en un éclair, avec une boucle pour pouvoir défaire le nœud plus aisément puisqu’il va falloir la réutiliser.

Lors du tour, M.C à l’air d’aller relativement bien. Son taux d’oxygène dans le sang est remonté : 92% sous 25l/min. Il est calme. Parle un peu plus que tout à l’heure, mais est plutôt incohérent. Il me parle d’une brigade qui est venue en commando dans sa chambre lui dire qu’ils allaient l’emmener… à force je finis par comprendre qu’il parle du moment où mes collègues sont venus lui installer le manomètre à 25l. J’essaie de le rassurer.

« Marie !!!! »

Mon nom résonne dans le couloir je me dis « et merde… ». Je sais d’où ça vient, je cours chez M. E Il a retiré son masque, nous ne savons pas pendant combien de temps. Il tire, il transpire, il râle même. Carry lui a remis son masque tout de suite et a déjà installé ce qu’il faut et pris ses constantes. Il est à 32% de saturation… nous nous regardons, peu sereines. Nous sommes chacune d’un côté du lit, comme pour entourer le patient. Carry lui prend la main. Nous lui donnons des indications pour l’aider à respirer calmement. Il est déjà sous 25L/min d’oxygène par minute, c’est le maximum que nous puissions avoir pour le moment. Le patient est tout tordu dans son lit. Il faut le réinstaller. Pour mieux respirer il faut être droit et demi-assis, voir assis.  Mais il n’est pas assez cohérent ni calme, il faut attendre que sa saturation remonte un peu. J’appelle le docteur de garde. Il connait un peu le patient : « J’arrive » me dit-il. Après une dizaine d’interminables minutes à essayer de canaliser M. E et à lui remettre son masque, qu’il retire par intermittence (car l’air inspiré est chaud et cherche de l’air frais), sa saturation est à 71%. Nous prenons la décision de l’allonger, nous le remontons à la force des bras et le redressons le plus vite possible. Mieux installé, la respiration est favorisée. Le médecin n’est pas là. Je le rappelle, pas de réponse. Je passe outre et appelle le réanimateur directement. Une femme répond. Je refais une présentation du patient qu’elle ne connaît pas. « Ok j’arrive ». Quelques minutes plus tard, le premier médecin que j’ai appelé arrive. « Désolé, je suis appelé de partout. ». Je m’en doutais un peu, il s’occupe des sept unités COVID de l’hôpital. La réanimatrice arrive ensuite. Le docteur à l’air soulagé.

« Dr : Ah justement, je pensais vous appeler.

Réa : C’est bon comme ça j’ai pu regarder le dossier

Dr : Ok, alors, on le transfert ?

Réa : Non il a de l’emphysème, il ne sera pas intubé. (Se tourne vers le patient) Vous m’entendez monsieur, vous ne serez pas intubé alors il faut bien respirer là, parce qu’on ne pourra pas faire plus, tout repose sur vous.»

Je vois les yeux de Carry écarquillés. Mes deux collègues infirmiers sont venus voir s’ils pouvaient aider. Il y a assez de monde, je m’éclipse pour préparer la seringue d’anti-hypertenseur demandée par les médecins (le patient était en plus hypertendu). En revenant, Yoan m’aide à installer la seringue et la machine. Au total, le patient met trois-quarts d’heures à se stabiliser à 85% de saturation.

Carry est outrée de la façon dont la réanimatrice a parlé au patient. Je me dis qu’au moins, elle a été claire. C’est un peu difficile. Nous suivons ce patient depuis une semaine et demie. Sa femme était dans notre service la semaine dernière mais elle a décompensé et est en réanimation actuellement. Ils ont 48 et 52 ans. Clairement, je n’ai pas envie d’annoncer à leurs enfants que non seulement leur mère est mourante mais qu’en plus leur père est mort. Alors, je croise les doigts et repasse toutes les vingt minutes le voir. Le hic, c’est que ce n’est pas un service dont les plans ont été pensés pour les urgences et le patient est à l’autre bout du couloir. S’il ne va pas bien, nous ne l’entendrons pas crier. Alors, nous allons passer à tour de rôle jusqu’au matin.

Dans le bureau infirmier, Yoan regarde le planning. Ils ne sont que deux demain. Moi, je ne suis pas là, j’ai un cours à 11h en visioconférence et un entretien dans l’après-midi pour mon mémoire, autant dire que si je viens, je ne vais pas dormir… Ils s’y mettent à trois : « Allez reviens demain s’il te plaît », « tu nous abandonnes en fait », « tu nous aimes plus c’est ça ? »… Ces petites phrases dites sur le ton de la rigolade me trottent dans la tête une bonne partie de la nuit et son réitérées à plusieurs reprises. Je ne promets rien. Si je le sens, je reviens demain, sinon… Bon en réalité, je vais voir si la vacation est prise dans la journée et si elle ne l’est pas, je viendrais… je culpabilise. Bonjour le chantage affectif ! Mais en service de soin, ça fonctionne souvent assez bien. Une forme de solidarité particulière se met en place avec ces gens que je ne connais pour certains que depuis quelques heures…

Pendant le tour de 5h, je m’attarde un peu chez Mme K. Ses constantes sont bonnes, mais j’ai toujours cette impression étrange. Alors, je discute avec elle, je lui pose des questions. Elle me demande le bassin pour uriner. Au moment de se tourner, elle grimace, gémit. Elle a mal dans son mollet gauche. Je la laisse uriner et ensuite commence à regarder son mollet. Le ballotement est moyen. En ce moment, tous les patients font des embolies pulmonaires et avant une embolie, il y a souvent des phlébites. Les patients sont alités, surtout elle. En surpoids, elle n’arrive plus à se déplacer car elle est trop fatiguée. Je ressors (avec le déshabillage et rhabillage habituel) et je regarde sa prescription. Elle a un anticoagulant, ce qui devrait la protéger des phlébites mais… elle n’a qu’un Lovenox o.4, en soit, une dose trop faible par rapport à son gabarit.

« Bonjour docteur, excusez-moi de vous déranger. J’ai une patiente qui a de fortes douleurs dans le mollet droit qui est un peu induré. Comme en ce moment on a pas mal… Ah oui, elle est sous Lovenox 0.4 ! Attendez, non mais la dame pèse 142 kg monsieur ! Oui, c’est pour ça. Ok à tout de suite »

À son arrivée, le médecin palpe son mollet et l’ausculte à son tour. Il suspecte aussi une phlébite et me demande de majorer l’anticoagulant immédiatement avec une dose de charge. Il me demande aussi un bilan complet. La prise de sang est réalisée dans les cinq minutes, ainsi que l’injection.  Le docteur va regarder son dossier et me redira ensuite s’il faut mettre une seringue électrique d’héparine. Il demande un doppler en urgence.

Le 1e avril 2020 : à mon domicile

J’ai dormi 2h au total et il est 16h. La garde pour cette nuit est toujours là, disponible sur mon téléphone. Il vibre sans arrêt tellement il y a besoin de monde pour renforcer les équipes. Je me sens mal. J’ai l’impression d’être une lâcheuse. Alors, j’appelle la cadre supérieure et lui demande si je peux prendre la garde. Elle est ravie ! Je me prépare donc pour renquiller, malgré les protestations de ma famille qui s’inquiète parce que je n’ai pas assez dormi. Il faut savoir qu’il existe quelque chose de particulier dans les équipes soignantes. Cependant, ce quelque chose est souvent incompris des personnes qui en sont extérieures. C’est un sujet récurrent avec ma sœur qui est sage-femme. Et ça me semble vrai. Je n’explique pas non plus ce qui nous lie, mais c’est comme avoir un devoir moral envers ses pairs, celui d’être là, de revenir quand on nous le demande… surtout en ce moment.

De l’habituation ?

Le 1e-2 avril 2020 : garde de nuit en unité COVID

En arrivant, un peu en avance, je passe par le bureau des cadres pour récupérer une tenue. En effet, le distributeur automatique de vêtements fait des siennes (encore) et je ne peux pas récupérer ma tenue pour la nuit. De toute façon, le bureau des cadres est au troisième étage et proche des bureaux des médecins, à qui je veux passer dire bonjour. Les cadres me donnent donc une tenue et en sortant je tombe sur Ryiad, le médecin infectiologue. Nous discutons un peu de tout et de rien. Enfin, surtout du COVID. J’aime bien le voir car cela me permet d’avoir des informations et de faire un peu le tri ente les bruits de couloir et le reste. Nous sommes submergés d’informations de partout et il n’est pas toujours facile de démêler le vrai du faux, même à l’hôpital. Les consignes changent encore et nous sommes un peu perdus pour identifier les bonnes pratiques, celle qui sont vraiment préconisées et ce qui est de l’ordre du bidouillage.

En arrivant dans le service, M. C et M. E sont toujours vivants ! C’est la première chose que j’ai vérifié en entrant dans le bureau infirmier. Je ne suis pas la seule. Alors que d’habitude après avoir posé nos sacs nous allons nous asseoir en arrivant, nous sommes trois à avoir été directement regardé la planification murale, le sac encore à l’épaule. Ils sont là. Leurs noms sont là.  

« Ho tu es là ! J’aurais pas parié ! Mais je suis contente » me dit Carry

« Tu as dormi ? » s’inquiète Amanda.

« 2h et je suis morte alors va pas falloir me faire chier je vous préviens ! »

Elles rient, se moquent un peu je pense. Elles savent bien que je ne suis pas du genre à m’énerver…

Ce soir, contrairement au marathon d’hier, c’est très calme. Les patients qui allaient mal vont toujours mal mais ils se maintiennent dans la médiocrité, ce qui est une bonne nouvelle. Nous essayons tout de même de ne pas relâcher notre attention. Le fait d’être fatiguée m’inquiète et je suis doublement vigilante, un peu comme quelqu’un qui prendrait le volant après avoir un peu trop bu et qui ferait encore plus attention pour éviter l’accident. Mais c’est vraiment calme. « Il faut en profiter, ça ne va peut-être pas durer ! Ils décompensent tellement vite ! », dit Yoan.

Pendant le tour, c’est encore le même cirque avec le thermomètre… Je crois que je suis un peu moins patiente parce qu’au lieu de m’amuser, ça m’énerve : « Tu sais quoi, laisse tomber, je le ferai après moi-même le tour de température ! » dis-je. Discussion close, au deuxième tour, je n’en ai plus entendu parler.

Après le tour, dans le bureau, pendant que nous faisons nos transmissions écrites, Joanna et Clara, les deux aides-soignantes du côté de Yoan regardent les dossiers des anciens patients sur l’ordinateur. Chaque recherche commence par : « Et celui là, il est mort tu crois ? ». Au bout d’un moment, cela provoque l’hilarité générale : « Non mais vous avez pas bientôt finit de vouloir que tout le monde soit mort ?» demande Amanda sur le ton de la plaisanterie. Ce sont deux étudiantes infirmières qui sont là pour dépanner en tant qu’aides-soignantes. Des morts, elles n’en ont jamais eu, alors c’est un peu comme un inconnu planant dans le service, omniprésent mais pas encore tangible pour elles. C’est vrai que ces derniers jours, Carry me l’a fait remarquer, nous avons un humour de plus en plus noir.

Comme c’est calme, j’en profite pour monter voir les collègues au 4B (ex service de pneumologie devenu récemment une unité COVID) et voir comment ça se passe pour elles. En même temps, je vais prendre des aérosols dans leur pharmacie, parce que nous n’en avons plus. En arrivant, mes collègues sont toutes dans le bureau, l’air à moitié hagard. Leurs regards sont un peu vides, je dirais même délavés. Sandra me regarde et sourit à peine. « C’est sympa de passer. Désolé on a passé un sale moment. » Elle se lève m’emmène un peu plus loin dans le couloir :

« On a eu quatre décès et six entrées en quatre heures. J’ai passé mon temps à emballer des corps dans des sacs… comme à la chaîne… c’est pas pour ça que je fais ce travail… et pas de répit, les entrées arrivaient derrière… ça va trop vite ».

Psychologiquement, ça devient difficile. Elles sont un peu abattues. Surtout parce que comme dit Sandra : « Le pire c’est que la nuit n’est pas finie… J’ai un peu peur de ce qui nous attend ». Je lui dis de ne pas hésiter à appeler si besoin, car chez nous c’est calme. Elle me dit cette phrase angoissante: « Oui enfin tu sais, ça dégénère vite… ». Je sais…

De retour dans mon unité, à 1h30, nous décidons de manger. Des petits clans se forment. Comme nous sommes nombreux et qu’il n’y a pas la place dans « le clapier » (petit nom donné par certains à la salle de pause car il est difficile d’y circuler à deux tant elle est petite) certains mangent dans le bureau, d’autre dans la salle repas des patients à l’autre bout du service. D’un coup, M. P. sonne. Mon collègue me dit : « Oh non j’en peux plus, il m’a tenu la jambe tout à l’heure! Il me dit qu’il veut mourir et tout moi je ne sais pas quoi répondre ! ». Je tente le coup et je vais le voir. En arrivant dans la chambre, il répète : « On va se battre ». Je me demande s’il veut se battre avec moi. Je lui pose la question.

« Je vais me battre pour ma fille » dit-il.

Je comprends. Je prends un carré de protection que je pose sur le lit et m’installe à côté de lui. Je lui prends la main. Je reste près d’une heure à parler avec lui. Il parle doucement parce que cela le fatigue et il a toujours une respiration limitée. Il me parle de sa femme, de sa fille, de son fils. Sa fille est revenue vivre chez eux quelques mois avant le confinement. Elle a lâché son job de commerciale parce que son patron lui en demandait trop. C’était une période difficile pour elle. Mais là, elle va mieux depuis quelques temps. Elle a retrouvé le goût des choses, regarde pour refaire des études plus spécialisées en marketing. Elle a un amoureux aussi, Quentin qu’elle ne peut pas voir en ce moment et ce n’est pas facile tous les jours. Son fils vit avec sa femme et ils ont un enfant, Théo. C’est un peu dur en ce moment car il faut l’occuper et il est très actif, il ne tient pas en place. Quant à la femme de M. P, elle est inquiète. Il sait bien que c’est lui qui lui cause du souci. C’est un peu comme si je commençais à connaître sa famille. Il me répète encore qu’il va se battre pour sa famille, parce qu’il veut les revoir. Il me serre fort la main : « Vous vous battrez avec moi ? ». Je lui dis que oui, que tant qu’il ne lâchera pas, on sera là, qu’on fera notre maximum.

Pendant que j’étais dans la chambre, Yoan s’est occupé des patients de mon secteur qui sonnaient. De nouveau, quelques vérifications chez mes patients qui ne sont pas au top et… M. P sonne encore. C’est Amanda qui y va. En revenant elle dit : « Ah bah! Maintenant il veut mourir, il veut qu’on le laisse tranquille ! ». Yoan lève les yeux au ciel : « Et bien ses belles résolutions n’auront pas duré longtemps ! ». Ça me chagrine franchement, mais on ne peut pas se battre à sa place… et puis cette nuit qui me semble longue, interminable! J’ai envie de dormir! Il n’y a pas assez d’action… c’est peut-être d’ailleurs ça le problème. Les autres jours, nous étions dans le rush, dans l’action presque uniquement. Là, nous nous asseyons, nous discutons. Nous avons le temps de nous poser des questions, qu’autrement personnellement j’évite.

« Yoan : Concrètement, si le patient décline là, on fait quoi ?

Moi : Pas grand chose…

Yoan : Mais encore ?

Moi : Il n’est pas réanimatoire donc si jamais sa saturation chute, on appelle le médecin pour qu’il nous mette morphine/hypnovel pour ne pas qu’il se sente mourir étouffé et on attend en le regardant agoniser!

Yoan : Ah… et tu me dis ça comme ça en souriant ?

Moi : Être réaliste n’empêche pas de sourire… et puis ce n’est pas le premier.

Yoan : Et comment on procède après ?

Moi : Après ? Après tu as le super emballage mais on va croiser les doigts pour que ça n’arrive pas!

Yoan : Ah oui, le truc en mode mille-feuille, les filles ont essayé de m’expliquer tout à l’heure mais j’ai pas tout saisi. »

Yoan va voir le patient, au cas où il puisse lui redonner un peu d’espoir mais il ne veut plus parler, il veut mourir. J’essaie. En vain. Alors, nous le laissons tranquille après avoir revérifier ses constantes. M. P. est angoissé. D’habitude, un médicament contre l’angoisse est prescrit et là il n’y est plus. S’il continue à être mal, nous appelleront le médecin voir s’il ne peut pas mettre quelque chose afin de l’aider à se sentir mieux. Le stress majore la détresse respiratoire.  

A 3h, le téléphone sonne, Yoan décroche :

« Bonjour Madame, M. P ? Oui. Non. Ha je vous assure qu’il ne sonne pas là, en tout cas ça ne s’affiche pas. Très bien. Nous allons voir. Oui, oui je vais demander au médecin de passer, pas de problème. Merci d’avoir appelé. Au revoir. » 

Il raccroche. La femme de M. P. a appelé. Son mari lui a téléphoné et lui a dit que cela faisait des heures qu’il sonnait et que personne ne venait (notre dernier passage remonte à moins d’une heure). Apparemment, il se sent mal, il a du mal à respirer. Yoan prend le téléphone et demande à l’interne de garde s’il peut soit prescrire quelque chose, soit passer le voir. Le médecin explique que oui, mais il est un peu débordé, il gère les urgences d’abord. Mon collègue a à peine raccroché que le téléphone sonne à nouveau. La femme de M. P. Je décroche :

« Mme P :  Oui, je suis au téléphone avec mon mari et vous n’êtes toujours pas là, ni le médecin ! Il va mal et vous ne bougez pas ! C’est un déchirement, il dit qu’il veut mourir…

Moi : Madame, je suis désolée, je sais que c’est difficile. Nous venons tout juste de raccrocher avec le médecin qui passera dès qu’il le pourra et on arrive dans la chambre d’accord ? »

Elle raccroche. Je m’habille : sur-blouse, charlotte, masque FFP2, tablier plastique, lunettes de protection et gants. En entrant, j’entends à travers le téléphone du patient :

« Mme P : Non mais c’est seulement maintenant qu’elle arrive ? Il lui faut combien temps pour … » je l’arrête tout de suite.

Moi : Madame, je vous entends vous êtes en haut-parleurs… »

Silence gêné.

Moi : Comme on doit s’habiller pour rentrer ça prend un peu de temps mais je suis là. »

Elle ne répond pas. Je parle au patient. Il est fatigué, à bout, angoissé. Il pleure. J’entends sa femme qui raccroche. Je lui explique que si vraiment il se sent mal, nous pouvons lui mettre des médicaments pour l’apaiser. Il me supplie de faire quelque chose. En sortant, j’appelle le médecin de garde. Je lui explique la situation. Le patient n’est pas réanimatoire, il est BPCO (bronchite chronique obstructive) et avait déjà des problèmes pulmonaires avant. Il a 67 ans. Il ne sera pas intubé, comme mes deux autres patients. En plus, il ne veut plus se battre. Sa saturation diminue petit à petit, il est stable autour de 82% sous 15L.  « Ok, on le passe en protocole morphine/hypnovel » me dit le médecin. Je tente ma chance : « et le passer sous 25l ? ». La réponse est non. Nous n’en avons plus assez. Il me fait aussi remarquer que déjà 15l/min pour un BPCO c’est énorme (normalement on ne dépasse pas 2.5l, sinon le dioxyde de carbonne s’accumule) alors 25l/min… Avec Yoan, nous préparons les médicaments et il va poser le tout au patient pendant que j’appelle sa femme, parler avec elle, lui expliquer. Elle me dit qu’elle comprend bien. Je suis désolée pour elle.

A 6h, Yoan vient me chercher. Besoin de bras pour emballer le patient. Il est décédé à 5h30. Le médecin a appelé la femme pour la prévenir. Un drap, la housse ‘anti-contamination’. Quand l’employé du funérarium arrive, on l’emballe dans un autre drap et sa housse de transport. D’habitude, nous arrivons à continuer de discuter, voir de rire mais là, nous ne parlons presque pas… Peut-être le fait de le suivre depuis deux semaines, d’avoir parlé à sa femme… peut-être que ça commence à être lourd à force.. Et puis j’oublie que Yoan est diplômé seulement depuis quelques semaines. C’est son premier en tant que titulaire. Au moment de mettre M. P dans le sac de transport, Yoan souffle. Nous avons quelques difficultés pour l’y mettre. Finalement : «Tu comprends maintenant le côté mille-feuille?» lui dis-je. Il éclate littéralement de rire. « Je pensais plus à un wrap » me dit-il. C’est à mon tour de rire. Cette expression, je vais la garder. Elle m’aidera après peut-être.

L’employé du funérarium emmène ensuite le corps de M. P. Je retourne voir mes patients, j’en ai encore 4 à voir avant 7h.

**

Sur le parking, en partant, je croise Fanny qui travaillait avec Sandra en 4B. Elle a les traits tirés. Elle me raconte à son tour sa nuit catastrophique. Elle me demande comment s’est passée la mienne.

« Ah ouais, un seul décès ! ça va, vous avez eu de la chance ! »

Je médite encore sur cette phrase.  

Le 2 avril 2020 : à mon domicile

Après ma garde j’ai dormi jusqu’à 14h30. Dans l’après-midi (enfin ce qu’il en reste), j’appelle une amie infirmière au téléphone. Nous discutons de tout, de rien. Le traditionnel « ça va ? » est toujours suivi du même « oui et toi ? ». Les badinages font aussi du bien. Au bout d’un moment, nous dérivons un peu sur nos ressentis. Je lui demande comment se passe le travail. Elle m’explique :

« Je pense que finalement j’angoisse un peu… je n’ai pas l’impression mais je suis fatiguée, je dors mal et parfois dans la nuit, Mathias [son petit ami] est obligé de me tenir les mains car je me gratte à sang ».

Il va falloir prendre en compte « ce que corona nous fait », même lorsque nous n’en avons pas conscience.

2 réflexions sur “Journal de bord: Mon quotidien à l’hôpital – n° 3 Prendre le rythme- Marie, France”

  1. Bonjour Marie, Merci d’avoir pris le temps, ce temps si précieux, pour décrire si précisément ce qui se vit dans votre service. Merci pour ce texte si vivant – j’emploie à dessein ce terme – sur la vie et la mort au temps du corona. Ce texte si sensible nous fait comprendre cette force qui vous anime, vous soignants, et parait souvent surhumaine à beaucoup. Merci vous êtes formidable, mais essayez aussi s’il vous plait, de dormir un peu ! Amicalement.

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    1. Merci pour ce retour et votre sollicitude! Je suis heureuse que ce journal de bord puisse être intéressant bien qu’il prenne parfois la forme d’un exutoire et soit totalement centré sur mon vécu (partial) de la situation. Vos encouragements me touchent et je trouve ce décalage entre le ressenti majeur des soignants (mes collègues comme moi-même) et celui des personnes extérieures assez intriguant : comme me disent souvent mes collègues, « je ne fais que mon travail ». Je suis aussi ravie d’avoir trouver, par l’intermédiaire de ce projet, un moyen de joindre ce travail à mes études et ma passion pour l’anthropologie. Merci à vous.

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