Enquête échanges numériques, n°2, Ariane

L’usage du numérique est ancré dans nos pratiques aujourd’hui, pour la grande majorité de la planète. En temps habituels, hors du confinement, nous échangeons beaucoup via le numérique. Quotidiennement, nous téléphonons et envoyons des messages via nos smartphones et nous communiquons en passant par plusieurs réseaux sociaux numériques. Pour donner un exemple, en 2019 il y avait 2,5 milliards d’utilisateurs de Facebook[1]. Depuis l’entrée en confinement, le volume de messages échangés a plus que doublé pour de nombreux pays, d’après les deux vice-présidents de Facebook, Alex Schultz et Jay Parikh[2].

Une étude « Baromètre COVID-19 » menée par Kantar auprès de 25000 consommateurs dans une trentaine de pays révèle ses premiers résultats[3]. Dans l’ensemble, « WhatsApp, Instagram et Facebook ont connu une hausse de plus de 40% chez les moins de 35 ans ». WhatsApp, avec actuellement 2 milliards d’utilisateurs, est l’application qui a rencontré la plus forte progression à tous les stades de la pandémie. « L’utilisation globale de Facebook a augmenté de 37% ». « Dans les dernières phases de la pandémie, la navigation sur le web augmente de 70% […] et l’engagement dans les médias sociaux de 61% par rapport aux taux d’utilisation observés habituellement ».

[Augmentation en pourcentage de l’utilisation des différents médias sociaux au global et par tranches d’âge. Source : Kantar, étude sur les attitudes des consommateurs, les habitudes et attentes médias en période de pandémie COVID-19nouvelles habitudes de consommation média pendant le confinement, 03/20] [4]

L’usage du numérique et les échanges virtuels sont donc prégnants en cette période. En les observant, on peut mettre à jour des éléments essentiels à l’analyse de la situation actuelle, tant pour comprendre ce qui se joue en ce moment que pour percevoir des hypothèses de post-confinement.

L’anthropologue Fanny Parise a mené une enquête exploratoire en ligne ces dernières semaines sur la situation (échantillon de 6000 personnes en France et en Suisse, âgées de 18 à 70 ans)[5]. Pour analyser le confinement, son étude s’inspire d’une comparaison entre la société néolibérale et la téléréalité d’enfermement établie par N. Couldry et P-E. Reynolds (2006)[6]. Elle croise ce modèle avec les échelles d’observation de D. Desjeux (2006)[7]. Ce cadre lui permet d’observer les interactions sociales et numériques pendant cette période. Ses premiers résultats soulignent que les individus sont soumis à l’urgence et au ralentissement du temps. En effet, ils sont pris entre des informations quotidiennes multiples et changeantes et un « excès de temps face à une baisse d’activité ». Dans ce quotidien réaménagé, de nouveaux rituels semblent apparaître. On l’a vu dans l’article d’Eléonore sur le blog du 13/04/20, la bise, rituel de salut français, est remise en question. Il ressort aussi de l’étude de F. Parise quatre grands types de « confinés » (ceux qui sortent très peu, ceux qui sortent souvent et sont en télétravail, les « travailleurs essentiels », ceux confinés hors de leur lieu de vie habituel).

Cet article permet une première vue d’ensemble, organisée selon des critères socio-anthropologiques. J’ai proposé un questionnaire autour de moi, diffusé via les réseaux sociaux numériques, portant spécifiquement sur les échanges numériques privés pendant le confinement[8]. Les premières réponses indiquent des grandes tendances, qu’il faudra analyser plus précisément par la suite, lorsque j’aurai récupéré toutes les participations. Pour l’instant 40 questionnaires remplis me sont parvenus, de la part essentiellement de femmes, seulement 9 venant d’hommes ; les répondants sont âgés de 13 à 71 ans ; ils résident majoritairement en France, quelques-uns sont établis ou confinés dans d’autres pays ; ce sont des francophones. Tous possèdent des outils numériques et ont accès à une connexion plutôt efficace. Les situations sociales varient (étudiants, fonctionnaires, indépendants, chômeurs, retraités…) et les conditions de confinements aussi (maison avec jardin, appartement en ville, à la campagne, seul, à plusieurs, en famille, en couple, chez soi, hébergé, à l’étranger…). Il apparaît effectivement une utilisation accrue des supports numériques et une augmentation des échanges virtuels. Certains jugent ces échanges nécessaires (18 personnes), tant pour le soutien que cela leur apporte que pour informer leur proches. Une personne rapporte même avoir « retrouvé son couple » dans cette situation d’éloignement l’un de l’autre entraînant une intensité de la communication. Cependant, beaucoup témoignent d’un besoin de limiter parfois ces contacts, se sentant submergés (22 personnes). Les réponses soulignent que les échanges ne portent pas principalement sur le virus, mais au contraire sur d’autres sujets, ou sur l’actualité mais indirectement ou détournée, que ce soit pour se changer les idées ou pour continuer à discuter comme d’habitude, pour maintenir une certaine normalité. Ainsi, le partage de contenus comiques ou culturels (dans le sens culture artistique, culture générale…) sont privilégiés. D’ailleurs, la majorité préfère « se couper » des informations publiques, pour ne pas subir l’inquiétude que cela suscite, et ne les consulter que de façon restreinte. Les personnes de mon panel disent aussi parler beaucoup entre eux de leur quotidien, c’est-à-dire les plats cuisinés, les séries regardées… Plusieurs personnes (plus des trois-quarts des répondants) indiquent avoir découvert de nouvelles pratiques ou de nouveaux outils depuis le début du confinement (tester le télétravail, mais aussi s’inscrire à WhatsApp pour discuter en famille, ou utiliser des plateformes comme Zoom). Les échanges se font beaucoup en groupes sur des réseaux sociaux, mais les protagonistes discutent aussi à deux. Ils s’appellent en outre, principalement en mode visio (Skype, WhatsApp, Messenger) et vivent des événements sociaux à travers ces outils (les apéro Skype par exemple). Ces échanges sont réalisés à tout moment de la journée, et pour certaines personnes interrogées chacun dure un certain temps (1h ou plus). D’une manière générale, les personnes répondent ne pas avoir changé d’avis quant à leur perception du numérique. Néanmoins, certains, critiques habituellement envers cette technologie, reconnaissent aller à l’encontre de leurs principes temporairement, pour pallier le manque de contacts, sans pour autant penser que cela modifiera leurs pratiques et visions après le confinement. Des rituels de contacts numériques apparaissent: une personne répond organiser un rendez-vous quotidien de spectacle de marionnettes en visio pour son neveu, une autre dit jouer tous les soirs avec une voisine, via des messages numériques, à qui trouvera le plus de bonnes réponses à un jeu télévisé, alors qu’aucun échange régulier n’existait entre elles avant le confinement.

Pour continuer à comprendre comment les particuliers ressentent et vivent cette période, notamment dans leurs échanges numériques, je commence à mener des entretiens (téléphoniques et numériques) plus approfondis auprès de certains des participants au questionnaire, ce qui permettra de compléter les informations recueillies. 


[1] https://www.latribune.fr/technos-medias/internet/le-confinement-est-il-une-aubaine-pour-les-reseaux-sociaux-843315.html

[2] https://about.fb.com/news/2020/03/keeping-our-apps-stable-during-covid-19/

[3] https://www.tns-sofres.com/communiques-de-presse/barometre-covid-19-letude-mondiale-sur-les-attitudes-des-consommateurs-les-habitudes-et-attentes-medias-en-periode-de-pandemie

[4] https://siecledigital.fr/2020/03/27/avec-le-confinement-lutilisation-des-reseaux-sociaux-augmente-de-61/

[5] https://theconversation.com/le-confinement-une-transition-vers-de-nouveaux-modes-de-vie-134616.

[6] https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2006-1-page-121.htm

[7] https://www.cairn.info/revue-recherche-en-soins-infirmiers-2006-2-page-14.htm

[8] https://docs.google.com/forms/d/1yttsnLnD_pjYWW64WX6OpKmbZN2tW3rCDfjO-cf2kTA/edit

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