Confinés à l’air libre. Changements et adaptations d’une vie quotidienne en famille

Chronique d’une cohabitation en période de crise. Épisode 2 : Sophie sur le littoral normand

“Exode : Départ, sortie en masse, déplacement d’une population, notamment à l’occasion d’un cataclysme naturel, d’une guerre, d’une invasion [ou] pour des raisons socio-économiques ou culturelles.” (Source : CNRTL)

Le 1er avril 2020, soit au 16e jour du confinement en France, Sophie (ndlr : le prénom a été modifié) – une Parisienne dynamique, sportive et militante – m’accorde un entretien par téléphone. Elle m’appelle d’une petite station balnéaire normande située au bord de la Manche, à quelques kilomètres au nord de Granville. Depuis le 16 mars, elle et sa famille sont parties s’installer dans une maison que possèdent ses parents depuis de nombreuses années et où elle se rend régulièrement pendant les vacances scolaires. Le pavillon est situé à quelques dizaines de mètres de la plage, dans un lotissement où bon nombre d’habitations sont des résidences secondaires.

Voici le récit de son « exode », du 13e arrondissement de Paris, jusqu’au bord de la côte normande.

Une organisation quotidienne bien huilée… puis l’arrivée du virus

Cadre dans un grand groupe français, Sophie a une quarantaine d’années, deux jeunes enfants et est mariée à un chercheur en physique. Elle vit avec sa famille dans un appartement de 110 mètres-carrés dans le quartier de la Butte-aux-Cailles, dans le 13e arrondissement de Paris.

« Chacun a une chambre, on a un grand salon, mais on n’a pas accès à… y’a un jardin intérieur au pied de l’immeuble auquel personne n’a accès. Et on a des balcons qui font 40 centimètres de large. »

Leur lieu de travail se situe « à une heure, une heure et quart » de leur appartement. L’école des enfants est à 10 minutes à pied et c’est une « nounou » qui s’occupe d’eux à partir de 16h30. La longueur des journées de travail cumulée au temps de transport réduit considérablement la possibilité d’activités de loisirs en semaine, mais Sophie reconnaît qu’elle aime passer du temps à l’extérieur, notamment le week-end.

« On essaie d’aller voir un spectacle une fois par semaine ou tous les quinze jours, une activité un peu spécifique… »

Au début du mois de mars 2020, l’arrivée de la crise sanitaire en Europe et en France ne bouscule pas tout de suite le quotidien bien rempli et très organisé de cette famille parisienne, mais très tôt, l’expansion de l’épidémie dans le département voisin de l’Oise se fait ressentir dans le cadre professionnel. Aussi, les parents de Sophie, au lendemain d’un repas d’anniversaire avec des amis, se révèlent positifs au COVID-19, comme 28 des 30 adultes présents à cette réunion amicale. Alors que ceux-ci avaient l’habitude de garder les enfants toutes les semaines, ce changement commence alors à faire réfléchir le couple quant à d’éventuelles mesures à prendre, notamment vis-à-vis des deux jeunes garçons. Sophie et son mari imaginent d’abord les envoyer « pour une semaine ou quinze jours… comme des vacances, quoi » chez les grands-parents installés dans le sud-ouest.

« On se voyait pas enfermés à la maison à quatre à cause de l’école fermée. Mais au début, on ne se voyait pas, nous, partir. On se disait qu’on allait envoyer les enfants, comme ça, on s’est dit… et ma belle-mère étant une ancienne instit, voilà… Ils seront pas malheureux, ils auront de l’herbe, du soleil. Et c’est vrai que nous, on pourra travailler. »

Quelques jours plus tard, à la fin d’une réunion professionnelle importante, un des collègues de Sophie, proche des instances dirigeantes de l’État, affirme que le premier ministre va annoncer, le soir même, la mise en confinement sur tout le territoire national. Le bruit de cette décision courrait déjà depuis quelques jours et le couple avait déjà commencé à imaginer la suite des évènements, mais cette confirmation précipite leur décision :

« Ok, alors là, moi j’ai dit à mon mari : “Écoute, on arrête tout, on va chercher les clés chez mes parents et on se barre”. »

Dans la matinée du 16 mars, la famille prépare donc ses valises, puis quitte la capitale en voiture et fait route vers l’ouest.

« C’est assez irréaliste » : comme une ambiance d’exode

Pourtant, la décision de quitter l’appartement parisien n’est pas facile à prendre. La maison familiale en Normandie n’est pas équipée du WIFI, « donc il fallait s’assurer que ça passe par les téléphones ». La maison, qui date de 1886 a, connu des rénovations et une extension. Les enfants ont l’habitude d’y passer une grande partie des vacances scolaires.

« C’est une p’tite maison qui appartenait à mon grand-père. Alors c’est tout simple, hein. Mais y’a tout le confort de base. Chacun a une chambre, donc ça, c’est assez important. On a de quoi faire des bureaux pour tout le monde. […] Y’a une cave, y’a un jardin. […] Ça doit faire 150 à 170 mètres-carrés. »

La maison familiale normande de Sophie (Crédit Photo: Sophie)

Le village, apparu sous Napoléon III, était autrefois desservi par une gare, mais celle-ci a disparu dans les années 1930. Aujourd’hui, il faut prendre un taxi depuis la gare la plus proche, située à une dizaine de kilomètres ou utiliser sa propre voiture. « C’est un tout p’tit village. Y’a personne dedans. Alors, par exemple… on est sur une impasse, y’a aucun habitant dans toutes les maisons alentours […] parce que ce sont des résidences secondaires », explique Sophie. Dans cette station balnéaire, la population passe de moins de 3000 habitants à l’année à « 30 ou 40 000 » en saison estivale. Ceci a pour avantage, du point de vue de Sophie, de la présence d’un bourg commerçant relativement étoffé : « tu as un poissonnier, une pharmacie, un opticien, un marchand de fromages, une pizzeria, un boulanger, un marchand de sucettes chaudes, des p’tits bars. […] Donc tu peux passer une semaine sans avoir besoin de voitures. C’est à même pas un kilomètre de la maison.

Sophie ne se souvient pas avoir imaginé à l’avance ce départ de Paris, mais explique : « Ça m’a semblé être une évidence qu’on ne pouvait pas rester enfermés à quatre dans l’appartement, avec deux enfants et deux adultes en télétravail ». Au-delà du confinement individuel, c’est finalement la fermeture des jardins publics qui a convaincu la famille, n’ayant ni jardin, ni balcon, de quitter la capitale. Sophie évoque alors sa lecture très récente du Journal d’Anne Franck :

« Ils sont restés à 8, enfermés pendant 25 mois ! […] C’est sûr que c’est pas les mêmes [conditions]… Et puis quand on est partis, moi j’avais un peu l’impression que c’était l’exode. On avait regardé Les Grandes Grandes Vacances [ndlr : série animée] avec les enfants, où tous les Parisiens partent et vont à Étretat. Alors oui, on a croisé quelques voitures qu’étaient un peu comme la nôtre, mais c’était pas non plus… »

Aujourd’hui, elle estime ne pas avoir eu le choix car les grands-parents étant relativement âgés, l’option d’envoyer les enfants seuls dans le sud-ouest a vite été oubliée.

Si, au sein du foyer, le choix de quitter Paris s’est imposé en commun accord, le père de Sophie a, lui, exprimé une certaine désapprobation – prétextant une prise de décision précipitée et non-réfléchie – avant d’en reconnaître le bien-fondé. Ceci étant, la Parisienne affirme qu’ « a posteriori, [elle] estime qu[‘ils ont] fait le bon choix ». Elle reconnaît néanmoins que le départ s’est effectivement déroulé dans l’urgence. N’emportant que « le strict minimum » avec eux, « le côté loisirs » semble aujourd’hui manquer, mais la famille s’adapte, profite des « bouquins » disponibles dans la maison normande. Et Sophie relativise : « on n’a rien oublié de fondamental ».

Sophie explique alors qu’elle et son mari s’étaient déjà posés la question d’une installation définitive en Normandie : « Mes parents étaient en train de faire les démarches pour me donner de façon anticipée la maison d’ici. […] Mais on n’avait jamais franchi le pas ». Néanmoins, l’expérience de vie en période de confinement dans cette commune du littoral normand ne semble pas – jusque là – avoir fait mûrir leur réflexion concernant ce projet de déménagement. En effet, Sophie reconnaît que la disparition des loisirs et des sociabilités – cours de voile, entraînement de rugby, contact avec les commerçants locaux et sur le marché alimentaire – dont la famille profitait au cours de ses séjours, ne leur permet pas d’expérimenter pleinement la vie quotidienne sur le littoral normand.

Chômage partiel et nouveaux loisirs : choix et impositions d’une nécessaire adaptation

Côté professionnel, Sophie est en chômage partiel et ne travaille qu’une seule journée par semaine, « le lundi ». Son entreprise prévoit que cet aménagement dure plusieurs mois. En conséquence, elle et son mari se sont organisés à partir de leurs obligations professionnelles pour s’occuper des enfants. Ainsi, chaque matin, à 9h, les deux garçons, scolarisés en classes de primaire, s’affairent aux devoirs envoyés par « leur maîtresse ». L’aîné fait « une heure de maths, après ils ont une demi-heure de récré, puis une heure de français », pendant que son petit frère suit le même programme en inversant les matières. L’après-midi s’organise différemment, d’abord avec un temps libre jusqu’à 15h, puis, dans l’heure qui suit, « l’idée, c’est de faire un truc un p’tit peu différent du français et des maths » :

« Alors, soit ils construisent une maison pour les oiseaux, ou alors on fait un peu d’histoire ou de géographie… On leur fait écouter aussi les podcasts sur France Inter, sur les Odyssées… ou quelques expériences de physique ou de chimie avec [mon mari]. »

Après le goûter, ils passent une demi-heure sur une aire de jeu « à cinq minutes en vélo ». Et en rentrant, aux alentours de 18h-18h30, le papa s’arrête de travailler et joue à Minecraft avec les deux garçons, en réseau avec des copains : « C’est très drôle, c’est le grand moment de détente de la journée ! », explique Sophie en riant.

La vie quotidienne, transformée par l’inactivité professionnelle partielle de Sophie et la fermeture de l’école, semble avoir trouvé un nouveau rythme. La maison permet aux enfants de profiter d’une salle de jeux qu’ils n’ont pas à Paris. Et l’accès au square n’aurait pas été possible dans la capitale. Par ailleurs, Sophie considère que toute la famille respecte les règles imposées dans le cadre du confinement, à une exception : « la digue à côté de la maison fait 1,5km donc au lieu de faire 1km, je cours dans un rayon d’1,5km ». Elle et son mari prennent soin de faire des courses pour deux semaines. Ils se sont aussi procuré la liste des producteurs locaux pour les fruits et légumes.

Photographie de la route menant au centre-bourg de la commune (Crédit Photo: Sophie)

Une crainte de la cohabitation conflictuelle vite dissipée

Au quotidien, les contacts sociaux sont quasi inexistants dans le village, principalement du fait que les maisons aux alentours sont presque toutes vides. Ainsi, ce n’est qu’en allant à la boulangerie ou en faisant son footing que Sophie a l’occasion de croiser des personnes extérieures :

« Du coup, quand je cours, je dis bonjour à tout le monde, par principe. Je me dis que, les gens que je croise, je suis peut-être la seule personne qu’ils vont croiser de la journée, donc c’est quand même sympa ».

Sur l’aire de jeux publique, Sophie a imposé une règle à ses deux garçons : si d’autres enfants y sont présents, ils ne reviendront que plus tard ou le lendemain. Dans ce contexte, leur présence dans le village n’a jamais été source de conflit, ni avec les résidents permanents, ni avec les commerçants. Pourtant, le mari de Sophie avait la crainte que l’arrivée de la famille, en provenance de la capitale, soit mal acceptée sur place. Il a alors eu l’agréable surprise de constater l’enthousiasme avec lequel les producteurs et commerçants locaux l’ont accueilli au marché du village (avant que celui-ci soit finalement interdit), le remerciant même d’être venu s’installer ici.

« C’est exactement l’inverse de ce qu’on lit dans les médias. Alors, je pense que ça dépend vraiment des villages. Encore une fois, ici, c’est un village où y’a pas beaucoup de monde le reste de l’année. Il fait pas très beau, hein. C’est pas du tout la Bretagne, la Normandie. Il peut faire beaucoup plus moche qu’en Bretagne. Il peut faire très, très moche. Et le lien social est très spécial. Et donc les commerçants étaient plutôt contents de voir venir du monde. »

Sophie estime d’ailleurs que peu de gens sont venus s’installer dans la région pour le confinement. Elle constate, lors de ses footings quotidiens, que les véhicules immatriculés « dans le 92 ou dans les 75 » ne sont pas légion. Au contraire, les personnes arrivées mettent un peu plus de vie dans le village : « le soir, on voit quelques lumières s’allumer dans les maisons », explique-t-elle. Dans ce contexte, elle reconnaît que les applaudissements de 20h font peu de bruit. L’ambiance du confinement parisien relaté dans les médias et sur les réseaux sociaux semble bien loin.

« Là, on est en Normandie, y’a 60 cas, un mort. Bon, mais ici, ça s’est un peu tendu, non pas du fait de notre arrivée mais parce que y’a une plage qu’est à 100… même pas, à 50 mètres de la maison, et y’a toute une promenade le long de la plage, qu’on appelle la digue, et donc c’était encore ouvert pendant la première semaine du confinement. Mais, depuis quelques jours, ils ont fermé la digue et la plage pour éviter que les gens se rendent dessus, quoi. Et après, y’a aussi eu la fermeture des marchés dans le village. »

Photographie de la plage prise avant la fermeture de la digue, au cours de la première semaine de confinement (Crédit Photo: Sophie)
Photographie des accès barrés à la digue. Sa fermeture a été imposée par les autorités locales au cours de la deuxième semaine de confinement (Crédit Photo: Sophie)

Malgré ces évènements et les quelques jours de mauvais temps, Sophie affirme ne pas regretter d’être partie de Paris avec sa famille. La situation de cette maison leur permet d’accéder plus aisément et librement à un espace extérieur, et l’absence de vie sociale est en partie compensée par divers moyens de communication et l’accès à l’Internet.

Finalement, Sophie reconnaît qu’elle peut déjà tirer quelques leçons de cette expérience de confinement, notamment celle qu’ « être femme au foyer, c’est vraiment pas fait pour [elle] ». Mais, plus qu’une révélation, ceci ne constitue qu’une confirmation du choix effectué il y a plusieurs années avec son mari, celui d’équilibrer les activités professionnelles et domestiques, les enfants et une vie personnelle. En ce sens, si le confinement lui permet de conforter ses décisions passées, Sophie n’est pas persuadée qu’elle retrouvera, pour autant, les mêmes habitudes à la fin de la crise. Et pour cause, elle ne se réjouit pas des annonces faites par les dirigeants de son entreprise, affirmant que « ça va reprendre et que quand on va reprendre, on va reprendre plus fort qu’avant ». Au contraire, de son point de vue, cette crise globale – dont « la transition n’a pas été préparée » – devrait pousser à des changements inédits en matière de production, de consommation et d’activités et de manière générale. Donc, si Sophie envisageait déjà de changer de travail depuis longtemps, cet évènement devrait, selon elle, donner un coup de pouce à ses décisions.

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