Dans les dernières semaines, mon sujet de recherche pour ma thèse a été bouleversé à plusieurs niveaux. D’abord avec l’arrivée du coronavirus qui a entraîné l’arrêt des activités touristiques à Mahahual. Ensuite, la dimension politique qui m’a toujours semblé indispensable pour mener à bien un travail ethnographique, m’est apparue encore plus présente que je ne le pensais. Je vais donc vous décrire un événement qui ne m’est pas arrivé à moi directement mais qui a eu des répercussions directes sur mon terrain de recherche :
Comme à mon habitude depuis le début de cette crise, je continue d’aller régulièrement au centre communautaire pour préparer des repas et distribuer de la nourriture. Vendredi c’est ma colocataire colombienne Ana qui y va. Elle revient vers 15h et les premiers mots qu’elle me dit sont les suivants : « je ne remettrai plus les pieds au centre communautaire ».
Ana me raconte ensuite que pendant les distributions de nourriture, elle et les autres volontaires ont vu des 4X4 arriver dans le quartier pour distribuer de la nourriture également. Elle va alors s’informer sur l’identité de ces personnes et sur leurs intentions. Elle passe environ ¼ d’heure à discuter avec eux. Ils expliquent qu’ils font partie d’une fondation privée qui a réuni des fonds pour distribuer de la nourriture à Mahahual. Quand Ana revient vers l’ensemble du groupe, la responsable lui demande pourquoi elle parle avec ces politiciens, et lui dit qu’ici son travail est purement altruiste et qu’il est hors de question que des politiciens prennent l’ascendant pour le travail qu’elle fournit. Ana lui explique qu’elle est simplement allée discuter avec eux pour savoir ce qu’ils font et qui sont-ils ; mais pour la responsable du centre, Ana ne peut pas à la fois aider le centre communautaire et en même temps discuter avec ces personnes.
Deux heures à peine après qu’Ana m’ait fait part de cette altercation, je reçois un message de la responsable me disant qu’elle ne veut plus que je vienne moi non plus au centre communautaire car elle refuse qu’on utilise le nom du centre à des fins politiques. Elle me dit que c’est d’ailleurs pour cela qu’elle demande l’aide de volontaires qui ne sont pas mexicains. Elle sait que je vis avec Ana donc elle m’associe directement à elle. J’ai beau lui rappeler que je suis une étudiante française, que je n’ai aucun intérêt politique et que je mène simplement un travail pour mon université, elle ne veut rien entendre et me prie de ne plus me présenter là bas.
Pour bien comprendre cet événement, il est important de le mettre en perspective avec le contexte politique actuel de Mahahual et, à une plus grande échelle, avec celui de toute l’Amérique latine : comme vous avez pu le lire dans mes premiers textes, le maire de Mahahual s’est fait assassiner il y a quelques semaines de cela. En attendant des élections très prochaines, un maire par intérim a pris sa place. La responsable du centre communautaire m’avait fait part à plusieurs reprises de sa volonté d’être la prochaine mairesse de Mahahual. Elle avait passé une matinée à me raconter comment elle reconstruirait les rues du quartier de la 55, comment elle implanterait des aires de jeux pour les enfants et mettrait en place des programmes pour diminuer l’alcoolisme dans le village.
Elle est également très active sur les réseaux sociaux et particulièrement sur la page facebook du centre communautaire. Tous les jours, elle poste des photos de son travail en appuyant sur le fait que son travail est « 100% altruiste, sans aucune affiliation politique ». Ces premiers éléments nous permettent de comprendre ce qui se joue à une échelle locale.
De plus, il faut souligner qu’en Amérique latine, les politiciens tout comme les grands narcotrafiquants – tels que Pablo Escobar en Colombie ou El Chapo au Mexique – mettent en place un système de dons (de nourriture, de cadeaux divers ou d’argent) pour obtenir les votes des populations les plus démunies (pour les politiciens) ou pour augmenter leur popularité (pour les politiciens et les narcotrafiquants). Tout le système politique de l’Amérique latine est basé sur cet échange informel de dons.
Tout cela demanderait bien sûr une analyse plus poussée, mais je veux simplement ici établir un parallèle en faisant le lien entre l’organisation qu’on peut observer au centre communautaire et les prochaines élections : la responsable du centre donne des repas et des sacs de nourritures gratuits plusieurs fois par semaine dans le plus grand quartier de Mahahual qui se trouve être également le quartier le plus pauvre. Elle s’inscrit alors dans le système de dons de l’organisation politique d’Amérique latine car ; même si elle ne s’est pas encore présentée de manière officielle, elle souhaite être la prochaine mairesse du village et commence donc sa campagne électorale avec les distribution de nourriture au centre communautaire. Sous couvert de ne pas vouloir être affiliée à un parti politique, elle finance sa propre campagne électorale grâce aux dons qu’elle reçoit.
Piste intéressante j ai travaillé sut une analyse similaire en milieu hospitalier à oaxaca. Je te suggère de t interesser aux travaux de Jean pierre Olivier de Sardan sur la « petite corruption »
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