La deuxième moitié du mois de mai, j’ai commencé à diminuer le nombre de nuits pour privilégier les jours. Ce changement de rythme oscillant sans cesse entre jours et nuits a tout chamboulé, notamment mon assiduité à prendre des notes. Ce changement n’a été que partiellement désiré. J’ai surtout dû m’adapter : en tant que vacataire, je dépends des besoins de l’hôpital. Avec l’infléchissement de la crise, le nombre de vacations s’est brusquement réduit. J’ai été déplacée dans divers services comme la cardiologie ou la neurologie. Il y a toujours cette incertitude à l’hôpital, qui nous fait souvent cogiter : quel service ? avec qui ? combien serons-nous ? Comment se portent les patients ? L’incertitude est constante, que l’on soit vacataire ou non car nous sommes un peu comme des pions déplacés selon les besoins. Interchangeables. Le travail à l’hôpital, c’est une équation aux multiples inconnues. Ces déplacements évidemment étaient justifiés. Mettre deux infirmières la nuit pour 8 patients COVID stables, il est vrai que c’est inutile. En revanche, reprendre les nuits en étant la seule infirmière pour 25 patients en services aigues… disons que je n’étais plus vraiment habituée… Et le rythme est très différent, ainsi que la mobilisation des connaissances et la réflexion clinique. Avec le COVID, j’ai fini par entrer dans une réflexion quasi-systématique orientée par des signes récurrents qu’il s’agit d’analyser. Ces signes sont souvent les mêmes. Ressortir des unités COVID a pour moi un double effet : d’un côté, cela m’angoisse : « suis-je encore capable de travailler autrement, de prendre en soin des malades ayant d’autres pathologies ? » Cela fait bientôt 3 mois que je ne fais plus que du COVID. J’espère ne pas avoir oublié le reste. C’est aussi stimulant et m’oblige à me remettre à jour, à réenclencher mon raisonnement clinique de manière différente. C’est bien de devenir expert dans un domaine, mais si c’est pour ne plus être apte à sortir de ce domaine, cela devient plus une limitation… Après toutes les angoisses provoquées par le COVID, je me rends compte que je m’y sens bien plus à l’aise qu’ailleurs : là, je suis protégée au maximum. Dans les services normaux il y a toujours des chances que les patients l’aient, pourtant nous travaillons avec le masque chirurgical uniquement. Là, je sais exactement quoi analyser, que chercher, mes sens se sont adaptés, ont appris à détecter plus vite, plus efficacement les anomalies dans l’état du patient. Dans les autres services, il est rare de ne traiter qu’une seule pathologie. Alors, il faut être couteau-suisse et ne rien laisser passer. Seulement, comme cela fait trois mois que je suis un couteau simple, j’ai peur que mes autres fonctions ne soient un peut rouillées. Heureusement, ça n’a pas été le cas. Plus de stress, plus de vigilance (d’un côté ce n’est pas plus mal), mais toujours les réflexes. C’est rassurant. Mais je ne peux m’empêcher de trouver cela ironique : nous avons longtemps avancé dans l’inconnu avec ce virus. C’était un peu la bête noire, il a déstabilisé nos modes de fonctionnements. Et puis, il commence à devenir un peu plus normal. A force de travailler avec cette maladie, nous nous sommes habitués. L’ancienne normalité en revanche devient l’élément déstabilisant. De fait, je suis contente de retourner en COVID parfois, enfin, cela surement le cas, jusqu’à ce que je me réhabitue à la polyvalence.
21 juin : Nuit en unité COVID
Les dernières nuits en COVID se sont toutes ressemblées… nous étions proche de l’ennui et du manque d’activité. De puis mi-juin, nous ne sommes plus qu’une infirmière et une aide-soignante. Les patients se portant plutôt bien pour la plupart, bien que certains aient encore besoin d’oxygène, nous passons plus de temps à discuter dans les chambres qu’autre chose. Notre but est que le premier tour du soir dure le plus longtemps possible pour nous occuper, car après les patients dorment et la nuit est excessivement longue. Notre rythme de surveillance n’a cependant pas faibli : tensions, pouls, température, saturation en oxygène, fréquence respiratoire à 22h – 2h – 6h. La plupart des patients sont autonomes, nous n’avons que peu de nursing. Parfois les sonnettes retentissent pour que nous aidions la personne à utiliser le bassin, pour l’accompagner aux toilettes, parfois simplement pour parler. Un certain nombre de patients ayant nécessité des soins de réanimation ont des angoisses la nuit. Alors les nuits se suivent et se ressemblent. Enfin presque. L’intérêt de se nouveau rythme est justement le temps qui nous est accordé pour parler, et surtout pour écouter. Alors les nuits se suivent, le rythme est semblable, mais les témoignages sont distincts, singuliers.
A 20h30, lorsque nous passons dans la chambre de M. R, 63 ans, ma collègue Adeline, et moi, le trouvons en difficulté avec son téléphone. Adeline, lui propose de regarder ce qui ne va pas avec l’appareil pendant que je prends ses constantes. Elle s’assoit sur le rebord de la fenêtre. Je continue mon affaire. Je lui mets le brassard à tension en m’excusant parce que ce dernier est froid (comme nous le désinfectons entre chaque chambre, il ne se réchauffe pas). Il me jette un regard mécontent :
M. R : « Le brassard est froid ! Et alors ? De toute façon c’est loin d’être le pire que j’ai eu ici ! »
Adeline : « Ah bon ? On vous a fait des malheurs ? »
M. R (à moi) : « Des malheurs ? Elle me prend pour un gâteux ? »
Je fais signe de la tête que non et Adeline enchaîne aussitôt : « Je ne voulais pas paraître mauvaise, je pensais que vous plaisantiez alors j’ai répondu en plaisantant ! »
M. R. « Et pourquoi je plaisanterais ! Vous croyez vraiment qu’on est ben traité ici ! »
Adeline et moi échangeons un regard un peu inquiet.
Adeline : « On vous a mal traité ? Il faut nous le dire c’est très important » son ton est préoccupé et sincère.
M. R : « Je n’ai pas été mal traité, mais je n’ai pas été bien traité ! Voilà ! » Nous laissons le silence s’installer sans bouger. Le brassard à tension finit par se dégonfler et la tension s’affiche : 147/69. M. R. Regarde le moniteur et finit par reprendre : « Non mais on est trimballé comme un sac à patate d’un lit à un autre, on nous parle qu’à moitié, moi j’en ai marre, j’ai hâte de rentrer. Ma femme elle n’est peut-être pas bien causante mais au moins, elle a du respect ! »
Adeline : « Je suis désolé que ça se soit mal passé. Vous voulez nous en parler ? On peut peut-être faire quelque chose ? »
M. R. : « Il y a rien à dire, c’est vrai quoi ! Quand je suis arrivé ici, je venais d’en bas… et j’étais encore un peu faiblard… pas très gaillard… bref j’arrivais pas à me soulever pour aller sur l’autre lit. Et là à trois ou quatre qu’ils sont venus, pas le temps de dire ouf, ils ont tous choppé le drap et vlà que d’un côté on me tire et de l’autre on me pousse. Et vlan, sur le nouveau lit. Et ça discute. On me pose des questions entre deux discussions avec sa copine… non mais j’ai bien vu comment ça marchait hein ! Déjà en bas on vous retourne dans tous les sens… franchement c’est une école de la douceur que vous devriez faire déjà ! Même quand on ne parle pas, on sent toujours des choses, on est toujours des humains ! Déjà qu’on m’a mis un tuyau dans le gosier sans me demander mon avis… en bas ils sont pas très doux…»
Moi : « Quand vous dites en bas vous parlez des urgences ? »
M.R. : « Non ! La réanimation ! » Adeline et moi hochons la tête, nous avions un doute car les urgences sont à l’étage du dessous et la réanimation est le service d’à côté, sur le même étage. M. R reprend : « Voilà, là, je me suis réveillé j’avais ce truc affreux qui me gênait, ça fait mal ce machin, alors quoi, je suis perdu, j’ai un tuyau dans la bouche, je sais pas ce que je fiche là, alors je l’enlève ! Non mais je me suis fait enguirlandé comme un gamin ! En même temps, vous voulez que je fasse quoi ! M’enfin bon… après tout’est pas négatif mais quand même… j’arrive ici on me jette dans le lit. Et là, le volet qui marche pas, la clim’ que personne ne peut régler… le seul truc qu’on a pu me réparer c’est la chasse d’eau… parce que oui, ça aussi ça marchait pas ! Non mais franchement, il est neuf ou pas votre machin ! Parce qu’il part un peu en lambeau ! »
Avec Adeline nous faisons la même mine et acquiesçons. En effet, les volets qui ne fonctionnent pas et les problèmes de climatisation ou de chasses d’eau sont plus que récurrents… dans un hôpital qui a à peine trois ans…
M. R. continue : « Bon, ici les docteurs ils sont pas mal. Ils écoutent. Mais il y en a qui vous parlent à peine. Ils se présentent même pas ! Il y a des dames qui viennent, je ne sais pas qui c’est ! D’ailleurs, vous êtes qui ? »
Moi : « Je suis Marie l’infirmière et Adeline est ma collègue aide-soignante » je me dis qu’il n’a pas tort, on pourrait quand même se présenter à chaque fois… c’est vrai qu’à force j’oublie parfois…
M. R. : « Enchanté ! Vous voyez c’est pas si dur… et c’est le minimum… » nous restons en silence. « Et puis bon, quand les gens viennent vous piquer quinze fois dans la journée, un coup pour la prise de sang, hop piqûre ! un coup c’est le gaz des sangs, et re-piqûre ! après la perfusion qui marche plus, on repique ! et puis la prise de sang n’est pas bonne, on recommence… suffit qu’il y en ait une qui a les deux pieds dans le même sabot et on se fait piquer trois fois pour un petit machin de rien… vraiment, je souhaite ça à personne ! A croire que vous y prenez plaisir ! Déjà que la maladie elle est pas drôle ! C’est grave quand même, j’aurais pu y rester. » Le silence s’installe de nouveau, Adeline continue de s’occuper du téléphone du patient tandis que je le regarde sans piper mot. « J’étouffais, des fois j’ai même encore mal dans ma poitrine. Mais en plus avec tout le reste qui n’va pas non plus… et après on s’étonne que les gens aiment pas l’hôpital… déjà on y mangerait mieux… mais bon tout ça vous savez déjà… »
Adeline relève la tête et je vois dans ses yeux de la malice : « On le sait, mais une piqûre de rappel peut parfois faire du bien ! »
Mr. R. Sourit : « Très drôle la piqûre, très drôle… »
Nous rions un peu et continuons à discuter. Maintenant que l’atmosphère est moins tendue, le patient nous parle de sa femme, de son ancien travail dans la manutention. Au bout d’une vingtaine de minutes, nous sortons car le feuilleton du soir a commencé et « Si je rate le début, j’vais encore rien comprendre », nous dit M. R.
Adeline et moi passons de chambre en chambre. La plupart des patients se portent plutôt bien. Quelques-uns sont très fatigués et n’aspirent qu’à dormir rapidement. D’autres ont envie de discuter et profitent de notre venue. Après le tour, Adeline va ranger l’office (la cuisine) et remplir le chariot des aides-soignantes. Pendant ce temps, je vais nettoyer et remplir le miens. Je compte ensuite les stupéfiants, fais la liste des médicaments à commander pour demain. Je range et nettoie la salle de soin qui n’en avait pas forcément besoin. Je range un peu la réserve de matériel (communément appelé le plein-vide) qui elle, en avait besoin. Finalement, il n’est que 22h… un record ! Nous décidons d’aller manger un morceau. A 23h je me connecte sur la cession des urgences pour voir s’il y a des candidats pour nous. Même pas… la nuit va être longue… Heureusement, j’ai de quoi m’occuper.
Vers 00h, Mme J. 48 ans, sonne. Je vais la voir. Lorsque j’arrive dans sa chambre, elle est assise dans son lit et me regarde fixement. Mme J. a souvent des angoisses, alors, nous parlons un peu. Elle me raconte son histoire :
Mme J : « Dans ma famille, on a tous eu le COVID. On a fait un anniversaire et on l’a tous eu. J’avais peur pour mon père, il a 84 ans. Et pour mon mari, il fait de l’asthme, il a une BPCO et il a une machine pour l’aider à respirer la nuit. Mais eux, ils ont eu comme une grippe. Pas moi. Moi j’ai presque arrêté de respirer. Moi j’ai cru que j’étais morte. Je suis venue aux urgences parce que j’arrivais plus à respirer, c’était horrible. Il y avait ma fille je crois et ma belle-fille… La nuit, j’ai cette image qui me revient en tête, enfin plutôt cette scène… » elle soupire et évite mon regard. Elle baisse les yeux et les ferme. « Je suis sur le lit, enfin le petit lit, le brancard là… j’entend que ça court un peu partout. Enfin il y a de l’agitation. Moi j’ai la tête dans du coton, je suis là mais pas vraiment, comment expliquer… » elle semble se concentrer.
Moi : « Vous voyez quoi ? Ou entendez peut-être ? » je penche la tête sur le côté comme pour capter son regard fuyant.
Mme J : « Eh bien… ce que vois est floue, ou plutôt en petits bouts. J’ai plus souvent les yeux fermés qu’ouverts et la lumière au plafond est forte et blanche. En fait, je crois que je vois surtout le néon… avant le néon, je voyais les carrés du plafond qui se succédaient et ça vibrait un peu. Il y avait le son des roues qui faisaient un bruit régulier. Ça me berçait un peu je crois. Enfin, je luttais pour rester éveillé, j’avais du mal à respirer. C’est bizarre à dire, normalement on n’a pas envie de dormir quand on lutte pour respirer. Mais je n’arrivais pas à respirer… mais j’étais trop fatiguée… c’est possible ? » elle me regarde et me demande de valider son ressenti. Je ne m’en sens pas vraiment légitime, un vécu est personnel…
Moi : « Eh bien, c’est ce que vous avez ressenti donc oui. »
Mme J : « Oui mais c’est normal ? Je veux dire, c’est arrivé à d’autres ? et comment ça s’explique ? »
Moi : « Eh bien… oui. Un monsieur le mois dernier a eu quelque chose de similaire. Il était vraiment très mal. En réalité, si vous restez trop longtemps en manque d’oxygène, votre corps compense et fait augmenter la fréquence des respirations. A force de respirer vite et que l’oxygène ne vienne pas, ça épuise tout le corps. »
Mme J : « Ah, c’est ça… j’ai été bête… c’est moi… non mais… » elle décroche son regard et rive ses yeux sur son drap. Elle enchaîne ainsi quelques phrases plus bas, comme pour elle-même. Elle me regarde à nouveau et reprend « J’ai vraiment trop attendu, tu vois, tout le monde me disait ‘Allé, va à l’hôpital Doumia’ et moi je, je disais ‘Non, non, moi je ne suis pas à risque, j’ai pas de problème de santé’. Je crois que je voulais rester veiller sur ma famille… » Nous restons dans le silence quelques secondes. « J’étais loin, mal. Je mourrais je crois… » Elle s’interrompt de nouveau. « Et cette scène, en fait, je vois la lumière, mais j’entends surtout des voix qui sont loin. J’entends ma fille qui pleure et j’ai peur parce que je meurs. Je meurs mais je suis trop fatiguée pour bouger. Tout est loin, loin. » Ses yeux demeurent dans le vague. « Pour moi à ce moment, je suis en train de partir, de quitter mon corps. J’ai peur, et les choses sont de plus en plus loin. Les voix c’est comme si c’était tout bas, et je vois moins la lumière. Pour moi, là je meurs et j’ai peur et c’est horrible. Ma fille elle pleure. Le médecin il lui parle mais je ne sais pas trop ce qu’il raconte. Et puis le trou noir. Après c’est quand je me réveille avec cette sensation horrible du tube dans la bouche. Je pensais que j’étais morte et finalement je me réveil et j’ai l’impression que je suis en train de mourir encore, comme si je mourrais pendant longtemps ou plusieurs fois. Je savais pas que j’allais avoir le tube, on m’a rien dit ! Enfin, remarque, c’est possible que je m’en souvienne pas… mais je me réveille et j’ai encore l’impression de souffrir et de mourir. Parce que comme avant j’arrive toujours pas à respirer, mais je respire, enfin… il y a de l’air… » Elle fait une pause, essuie une larme qui coule le long de sa joue. « C’est là qu’ils m’ont parlé, ils m’ont expliqué : ils m’ont endormie et m’ont mis le tube. Et puis ils ont appelé ma fille et elle est venue, elle était contente, elle aussi elle pensais que j’allais mourir, alors elle était contente. Mais tous les soirs, dans toutes les nuits… j’ai cette impression quand je ferme les yeux… quand je m’endors, j’ai peur de ne pas me réveiller. C’est un peu idiot…»
Je lui sourit : « Non, c’est même plutôt normal. C’est un traumatisme que vous avez eu là et il faut en parler. »
Mme J : « Ouai mais c’est pas facile, et puis je peux pas le dire à n’importe qui… le médecin va me prendre pour une folle… »
Moi : « J’ai l’air de vous prendre pour une folle ? »
Mme J : « Non mais vous c’est pas pareil, vous êtes moins importantes, c’est pas vous qui dites si je peux sortir ou pas ou si j’ai un problème mental. » Elle me regarde à nouveau droit dans les yeux, je fais tout mon possible pour ne pas tiquer sur le « moins importante » et garder mon air avenant. Même s’il y a le masque, les yeux trahissent largement nos émotions.
Moi : « Certes mais le médecin nous demande aussi comment vous allez car il sait que nous passons plus de temps avec vous. Ce que vous me dites là est important parce qu’à la maison, comment allez-vous faire si vous faites des crises d’angoisse ? » Mme J. me regarde fixement, comme si ses yeux essayaient de regarder à travers moi. Je reprends : « Le médecin ne va pas vous prendre pour une folle, lui aussi peut entendre ce que vous dites, aussi bien voire encore mieux que moi. Il vous conseillerait peut-être même un suivi notamment avec une psychologue. »
Mme J écarquille les yeux : « Je viens de vous dire que je n’étais pas folle ! Je le savais bien…»
Moi : «… je n’ai pas dit que vous étiez folle ! Déjà être fou ça ne veut pas dire grand-chose et là je vous parle d’une psychologue, pas un psychiatre. » Elle me regarde toujours avec attention. « En gros la psychologue c’est un peu celle à qui vous racontez vos états d’âmes et vos malheurs et qui peut vous aider à trouver un moyen de gérer les situations difficiles. Ce n’est pas un docteur, il ne donne pas de médicament. »
Mme J : « Un peu comme une amie ? » dit-elle peu convaincue.
Moi : « Pas tout à fait… disons que vous pouvez lui parler librement sans être jugée, ni avoir peur qu’elle vous rejette et qu’en plus si elle divulgue vos secrets elle finira en prison pour non-respect du secret professionnel. »
Mme J sourit : « ça peut vraiment m’aider ? »
Moi : « Uniquement si vous ressentez le besoin de parler à quelqu’un et que vous avez besoin d’aide pour trouver des solutions et mieux vivre le traumatisme. »
Mme J : « Ce n’est pas un traumatisme, ce n’est pas si grave, je suis là aujourd’hui… je n’ai pas non plus fait la guerre… je me sens un peu bête… » elle regarde à nouveau sa couverture et la chiffonne avec ses doigts.
Moi : « Vous avez eu l’impression de mourir, vous vous êtes vue morte et vous auriez pu mourir. Ce n’est peut-être pas la guerre, mais ça reste très difficile à vivre et traumatisant et c’est normal. Vous n’êtes pas toute seule dans ce cas-là, la différence c’est que les gens n’en parlent pas. »
Mme J : « Si les gens n’en parlent pas, comment vous pouvez le savoir ! » elle me lance un regard un peu dédaigneux.
Moi : « Parce qu’à nous ils en parlent. »
Mme J me sourit. Elle m’explique qu’elle ne veut pas inquiéter sa famille avec ses histoires. Qu’elle voudrait rentrer et tout laisser derrière elle. La psychologue ne lui semble pas être une bonne idée. J’ai posé l’idée, elle fera son choix.
Je fais ensuite une transmission ciblée dans l’ordinateur afin que les angoisses de la patiente soient connues et revues avec le médecin. À 7h, j’aborde aussi le problème avec mes collègues de jour. Je leur parle aussi du mécontentement de M. R. mais elles le connaissent bien et sont déjà au courant. Finalement, j’apprendrais deux jours plus tard que la patiente a demandé à prendre un rendez-vous avec la psychologue de l’hôpital en partant. Mes collègues de jour lui en ont reparlé et ont visiblement trouvé les mots.